Invité à Amsterdam aux Pays-Bas par le mouvement justice Bah Oury dans le but d’animer un débat sur les Droits de l’Homme en Guinée, le premier vice-président de l’UFDG, a passé une grande partie de la soirée à répondre aux questions relatives aux relations assez tendues qu’il entretient avec l’actuel numéro un de la deuxième force politique du pays, Cellou Dallein Diallo. Les militants de l’UFDG semblent ne plus comprendre pourquoi les positions entre leur président et vice-président tardent à se rapprocher pour l’unité de leur parti. En fin de compte, Bah Oury a rassuré aux militants de l’UFDG qu’il est prêt à faire de son mieux pour s’asseoir au tour de la table avec Cellou Dallein Diallo, discuter avec lui et puis repartir sur de nouvelles bases avec une feuille de route. À la fin des débats, il a répondu aux questions de Guineenews©. Lisez !
Guinéenews© : Monsieur Bah Oury, vous êtes le premier vice président de l’UFDG. Vous êtes ici aux Pays-Bas sur invitation du Mouvement Justice pour Bah Oury. Peut-on connaitre les objectifs de votre visite en Hollande ?
Bah Oury : Il y a deux choses. Premièrement, rencontrer la communauté guinéenne vivant ici, puisque c’est la première fois que je viens à Amsterdam. Et comme vous vous êtes rendu compte le débat a été fructueux, chaleureux et franc avec les représentants de la communauté guinéenne. Deuxièmement, c’est de rencontrer des responsables de la Cour Pénal International pour évoquer l’évolution de la situation des Droits de l’Homme en Guinée depuis l’arrivée de Monsieur Alpha Condé au pouvoir. Essayer de faire le lien entre les massacres qui ont eu lieu le 28 septembre 2009 et puis la poursuite d’une même politique durant ces trois dernières années avec les massacres de Zogota, les massacre en Guinée Forestière, le 14, 15 et 16 juillet dernier et aussi avec l’élimination d’une cinquantaine de militants de l’UFDG dans le cadre des manifestations pacifiques qui ont eu lieu durant la présidence de Monsieur Alpha Condé.
Guinéenews© : Cet après-midi (dimanche 3 novembre, ndlr) vous avez animé un débat sur les Droits de l’Homme, est ce que vous vous sentez comme étant une personne victime d’une injustice ? Si oui par qui et pourquoi ?
Bah Oury : Merci de me poser la question. Je suis un combattant pour la démocratie et pour la liberté. Donc, je sais le sacrifice qu’il faut payer pour tous ceux qui s’engagent résolument dans ce combat. Je ne me considère pas personnellement comme une victime puisque je suis un acteur, je suis un combattant et je sais que qu’il y a des sacrifices et parfois des sacrifices ultimes que les militants ou les combattants qui se battent pour la démocratie et la liberté payent. Actuellement, je vis douloureusement en exil, je le comprends et je l’assume, ça ne me fait pas regretter ce que je suis en train de faire, au contraire ça me conforte dans ma position et dans mon engagement pour combattre pour l’avènement d’une réelle démocratie en Guinée. Ce combat, je me suis engagé dedans depuis très longtemps.
Guinéenews© : Quels sont les moyens légaux dont vous vous disposez pour réparer cette injustice ?
Bah Oury : Comme je l’ai dit, je suis un combattant. J’œuvre pour un changement démocratique en Guinée, un véritable changement démocratique. Ma force et mon énergie sont orientés dans ce combat. Les moyens que j’utilise, ce sont les moyens légaux, les moyens de sensibilisation et amener la population à prendre conscience à prendre son destin entre ses mains pour exiger un réel changement, quitte à ce que cela amène le départ de monsieur Alpha Condé.
Parlant des droits de l’homme, comme c’était le sujet du débat que vous venez d’animer. Récemment une trentaine de jeunes ont été arrêtés à Conakry et conduit dans un camp à l’intérieur du pays. Ces jeunes ont témoigné après leur libération qu’ils ont été victimes de toutes sortes de tortures et d’humiliation. D’ailleurs l’un deux n’a pas survécu. Quel commentaire faites vous de cela ?
Dès que j’ai appris cela avec ceux qui sont au pays, nous nous sommes organisés pour faire savoir à l’opinion internationale qu’il y a des exactions qui sont en train d’être commises contre une trentaine de jeunes. Je me félicite que la conjugaison des efforts entre les militants sur le terrain et ceux qui sont à l’extérieur a permis d’alerter l’opinion internationale. Tout cela montre qu’il faut que les Guinéens se sentent davantage interpeller par la question des Droits de l’Homme parce que depuis 50 ans ce pays vit dans des exactions abominables de la part des dirigeants en place. Et tout cela, je le relaterai au niveau de la Cour Pénal Internationale.
Guinéenews© : Au sein du gouvernement dirigé par Mohamed Said Fofana, il y a un ministre des Droits de l’Homme. Ce ministre fait régulièrement des déclarations quand les Droits de l’Homme sont violés. Quel crédit donnez-vous à cette personne ?
Bah Oury : Je connais Gassama Diaby, je sais qu’il a œuvré à titre personnel à faire libérer un certain nombre de personnes. À ce niveau là, je lui en sais gré. Mais la politique de monsieur Alpha Condé, c’est une politique qui est contre les Droits de l’Homme. En fin de compte, le ministère des Droits de l’Homme n’est qu’un alibi. Récemment, les limites qui lui ont été tracées ont été manifestes parce qu’on lui a fait comprendre soit désormais il se tait ou il quitte. Je crois que monsieur Gassama Diaby doit tirer la conclusion, acceptera-t-il d’être un ministère alibi ou acceptera-t-il d’aller dans le sens de ses convictions ultimes, c’est-à-dire se battre réellement pour les Droits de l’Homme. Actuellement, l’opinion nationale et internationale le regarde. Je lui souhaite beaucoup de courage mais de refuser d’être utilisé comme alibi pour faire croire à l’opinion internationale qu’il y a un souci pour les Droits de l’Homme en Guinée alors qu’on sait pertinemment que la gouvernance de monsieur Alpha Condé, c’est une gouvernance qui est systématiquement contre les Droits de l’Homme, qui privilégie l’utilisation d’une violence excessive contre les populations et qui a à son actif une cinquantaine de personnes tuées. Sans compter la volonté de bâillonner la population guinéenne à travers les arrestations et de Mamadou Bilo Sy Savané et d’Abdoulaye Sy Savané.
Guinéenews© : Pendants les débats, vous avez déclaré qu’il y a un risque de soulèvement populaire en Guinée à l’image de celui de 2007, avez-vous reçu des signaux ?
Bah Oury : Je crois et je sens que la population guinéenne en a marre de la gouvernance de monsieur Alpha Condé. Toutes ethnies confondues et dans toutes les régions du pays, cette exaspération vis-à-vis de la gouvernance d’Alpha Condé a atteint son comble et la misère sociale devient de plus en plus grande. Les jeunes femmes et les jeunes gens ont perdu espoir. De ce point de vue, toute la société guinéenne est bloquée. Les élections ne vont rien régler. C’est pour vous dire que les conditions objectives d’une révolte populaire sont déjà en place. Maintenant, il appartient aux acteurs de la société civile, aux acteurs sociaux et aux acteurs politiques de s’en emparer, de préparer cela pour que cette fois-ci lorsque la colère populaire se déferlera dans les rues, que ça aille jusqu’au bout pour permettre l’avènement d’une gouvernance réellement démocratique en Guinée.
Guinéenews© : Monsieur Bah Oury, vous êtes le premier vice président de l’UFDG, est ce que vous assumer toujours cette responsabilité ?
Bah Oury : Je suis le fondateur de l’UFDG. Je suis le premier vice président investi par le congrès. Je l’assume, je le revendique, je me bats et je vais dans ce sens. L’UFDG fait partie de moi-même malgré que certains veulent me ravir cela, ils perdent leur temps. Tout le monde sait que nous nous sommes battus plus de 20 ans pour donner à l’UFDG une consistance. Que des gens soient morts au nom de l’UFDG, à l’appel de l’UFDG ne peut qu’amener Bah Oury, fondateur de l’UFDG à être davantage en phase avec l’UFDG pour que sa vocation démocratique et les engagements initiaux soient maintenus.
Guinéenews© : Est-ce vos relations avec le président de votre parti, Cellou Dallein Diallo se sont améliorées ces derniers temps ?
Bah Oury : Comme je l’ai dit pendant les débats, les relations personnelles n’ont pas tellement d’importance. Ce sont les relations politiques qui sont importantes. Par rapport à cela, je suis désolé de le dire, nous n’avons pas la même vision des choses, nous n’avons pas la même orientation politique. C’est une réalité. Personnellement je crois que le combat pour la démocratie passe par des réels engagements pour une transformation en profondeur de la gouvernance. Mais des actions politiques qui confortent la gouvernance actuelle ne font que retarder le pays, amener la société guinéenne à l’impasse. Avec cela, c’est l’avenir qui est bouché pour les jeunes. Et moi je veux que mon pays avance, je veux que la société guinéenne bouge mais les politiques actuelles ne font que conforter la stagnation et l’immobilisme.
Guinéenews© : Est-ce que l’UFDG n’a pas un problème à partir du moment où son président et son vice-président n’ont pas la même vision politique ?
Bah Oury : Il y a deux lignes politiques au sein de l’UFGD. C’est une réalité. Cela veut dire que l’UFDG doit accepter et adapter sa vie dans ce combat démocratique en interne qui fait qu’il n’y a pas de monolithisme. Moi je me bats pour que l’UFDG soit à mesure en son sein de faire cohabiter deux lignes politiques divergentes par rapport à certaines questions essentielles en faisant respecter le fonctionnement démocratique du parti tout en sachant qu’il y a une appartenance commune au même parti. Moi, c’est comme ça que je conçois l’action politique et l’action partisane au sein de l’UFDG. Mais malheureusement, ce n’est pas tout le monde qui a la même culture démocratique. Il y a des gens qui disent, ils sont les chefs et tous ceux qui ne sont pas d’accord avec eux sont contre eux alors que dans un parti, ce n’est pas comme ça. On peut être dans le même parti, à certains moments être en désaccord par rapports à certaines idées. Cela ne veut pas dire pourtant que nous sommes ennemis ou que l’un doit quitter au profit de l’autre si les principes démocratiques du fonctionnement du parti sont respectés.
Guinéenews© : Si les positions ne bougent pas et que les relations politiques avec le président du parti comme vous les avez appelé restaient à l’état actuel, quelle stratégie allez vous adopter ?
Bah Oury : Vous savez qu’il y a d’autres acteurs. Rien n’est statique. Il y a les acteurs qui sont les militants qui s’interrogent, qui se posent des questions, qui voient l’impasse dans lequel ils sont aujourd’hui et qui veulent en sortir. Et de ce point de vue, ça oblige chacun à bouger et à aller dans le sens conforme aux intérêts supérieurs du parti et de la Guinée. Celui qui ne va pas dans ce sens se condamne à être en déphasage complet avec une évolution historique, une évolution normale de l’UFDG.
Guinéenews© : Est que vous êtes consulté aujourd’hui par le bureau politique national de votre parti quand il s’agit de prendre des décisions importantes concernant des sujets liés à l’actualité nationale ?
Bah Oury : Ils ne me consultent pas, ils font comme si je n’existe pas. C’est la raison pour laquelle, j’ai dit qu’ils ne respectent pas les structures, qu’ils ne respectent pas le fonctionnement démocratique du parti, ils ne respectent pas les statuts, ils ne respectent pas la légitimité qui a été conférée au premier vice président par le congrès d’août 2009. Tout cela, ce sont des violations des statuts, des violations des règles de fonctionnement et ça rappelle le fonctionnement anachronique des dictatures. Je suis contre la dictature au niveau de l’État comme je suis contre une dictature au sein du parti. Et cela prouve la cohérence de mon combat pour la démocratie, pour les libertés et pour les Droits de l’Homme.
Guinéenews© : Un autre sujet, finalement il y a eu les élections législatives, est ce qu’on peut dire que vous aviez eu raison de s’opposer à la participation de votre parti à ces élections ?
Bah Oury : Déjà certains vont se réjouir en disant que l’UFDG a 36 ou 37 députés comme si la finalité était d’avoir quelques députés. Alors que ces députés dans le cadre d’une Assemblée où ils seront minoritaires ne peuvent pas influer sur la volonté du pouvoir exécutif d’imposer sa dynamique, d’imposer son orientation. Ce qui est encore beaucoup plus grave, pour ne pas rentrer dans les détails, ça légitime, ça valide le fichier électoral que Waymark a déjà mis en place et ça prépare la fraude pour les élections présidentielles de 2015 où monsieur Alpha Condé pourrait valablement utiliser son résultat sur la liste nationale proportionnelle des législatives pour dire qu’il a gagné dès le premier tour des élections présidentielles. Cela veut dire que l’avenir de la démocratie est sacrifié et ça créera certainement de graves problèmes à la Guinée.
Guinéenews© : Est-ce que la politique de la chaise vide n’aurait pas eu des effets néfastes sur votre parti ?
Bah Oury : Il y a deux manières de concevoir les choses. En participant on confère une légitimité aux élections. On confère une légitimité au pouvoir en place et ça lui donne la possibilité de claironner un peu partout à travers le monde que c’est pouvoir démocratique qui est issu des voix des urnes. Alors que nous savons qu’il y a eu la mort de nos militants, il y a eu des viols de la constitution, le non respect des règles du code électoral. Il y a eu un fichier électoral qui est anticonstitutionnel. La participation valide ce processus. Demain ce sera difficile de dire qu’on est contre cela. Moi je dis que je ne suis pas dedans, je récuse ce fichier électoral parce que c’est un fichier électoral qui prépare une bombe politique contre la Guinée.
Guinéenews© : Maintenant l’opposition a déposé des recours au niveau de la Cour Suprême, y a-t-il une possibilité que les résultats donnés par la CENI changent en faveur de l’opposition ?
Bah Oury : Comme on n’a pas encore le verdict de la Cour Suprême, je n’ai pas de commentaire à faire. Disons comme les autres «wait and see».
Guinéenews© : Une dernière question, vous êtes très acerbe vis-à-vis du régime de monsieur Alpha Condé, est ce qu’il y a un point sur le quel vous êtes d’accord avec lui ?
Bah Oury : Il y a des choses essentielles sur lesquelles si on n’est en désaccord par rapport à l’essentiel, on ne peut pas être en accord par rapport à des aspects périphériques. La question des Droits de l’Homme, la question de la gouvernance démocratique, la question du respect de la loi, l’utilisation excessive de la violence, cette dynamique sécuritaire qui met en danger tout le pays, au delà de ça, je ne peux pas voir un aspect sur lequel où je peux tirer le chapeau à monsieur Alpha Condé parce que je vois qu’il prépare un avenir désastreux pour la Guinée. La gouvernance minière, elle est catastrophique. On n’est en train de « congoliser » la Guinée. Si tout se poursuit comme ça dans 5 ans, dans 10 ans, ce sera la guerre civile comme en RDC. Mais il faut que les Guinéens se rendent compte du danger dans lequel la gouvernance de monsieur Alpha Condé nous mène et va mener la Guinée si on ne l’arrête pas maintenant.
Interview réalisée par Tanou Diallo le 02 novembre 2013.