CONAKRY- Malgré la mise en place de la nouvelle Assemblée Nationale, le vice-président de l’Union des Forces Démocratiques de Guinée (UFDG), Bah Oury, qui vit en exil du côté de la France, reste critique vis-à-vis du pouvoir d’Alpha Condé et l’opposition ! Dans une interview exclusive accordée à notre rédaction, cet ancien ministre de la réconciliation nationale dit craindre des turbulences politiques qui résulteraient de la mauvaise gouvernance du régime du président Alpha Condé. Au cours de cet entretien, Bah Oury s’est aussi exprimé sur ses relations avec le président de l’UFDG, Cellou Dalein Diallo…Exclusif !!!
-AFRICAGUINEE.COM: Bonjour Monsieur Bah Oury!
-BAH Oury : Oui Bonjour M. Diallo !
-Le président Alpha Condé a formé récemment une nouvelle équipe gouvernementale appelée ‘’de mission‘’, composée de 34 ministres. Quelles appréciations faites-vous de cette équipe ?
-Pour le commun des mortels, toute équipe gouvernementale est de « mission ». L’appellation officielle de ce second gouvernement de M.Alpha Condé indique tout simplement que pendant trois ans la Guinée a été gérée sans aucune boussole pour indiquer la voie à suivre. Trois années de perdu pour le pays, mais trois années qui ont permis à une poignée de personnes de brader les ressources nationales et d’accentuer par conséquent la mal-gouvernance. Ce second gouvernement n’a rien de fondamentalement différent du premier. « Le poisson pourrit par la tête » dit un adage soussou. Aussi il ne faut pas s’attendre à des changements de qualité avec ce remaniement ministériel. Les compétences techniques et les expertises avérées ne suffisent pas à influencer la marche d’un pays si la volonté politique fait défaut pour défendre l’intérêt national. Dans ce contexte, ces compétences seront au service de l’affairisme et de la mal-gouvernance.
-Pensez-vous que ce nouveau gouvernement pourrait être à la hauteur des attentes des populations en seulement deux ans ?
–Ce gouvernement marche sur les pas du premier. D’ailleurs la première équipe avait une base politique plus large, ce qui est loin de l’être pour la seconde. Les remous au sein du RPG traduisent un fort ressentiment à l’égard de la constitution de cette équipe. Par conséquent, comme en 2007, la Guinée rentre de plain-pied dans des turbulences politiques qui sont la conséquence d’une gouvernance répressive et prédatrice. La situation dramatique de Fria en est une preuve irréfutable.
-L’assemblée nationale vient de prendre fonction, qu’attendez-vous d’elle ?
-Sa marge de manœuvre est très étroite dans un premier temps du fait de la nature présidentialiste du système politique en vigueur et aussi du fait de la dérive autocratique, despotique et monarchique de M.Alpha Condé.
Mais la principale difficulté est liée à la composition de l’assemblée. Elle symbolise aux yeux de l’opinion nationale la restauration du passé à travers le retour au pouvoir des anciens caciques du PUP (Parti de l’Unité et du Progrès, ndlr) qui émargent soit du côté du RPG ou de l’opposition dite parlementaire. Ce sont les mêmes à quelques exceptions près qui étaient au pouvoir il y a peu longtemps. Donc c’est difficile d’espérer un bond qualitatif. La Guinée continuera à stagner et se paupériser.
-On dirait que vous négligez un peu la présence des députés de l’opposition…
-Cette opposition dite parlementaire traine un péché originel. Sa participation aux élections et sa présence au parlement se sont faites par la signature le 3 juillet 2013 de sa capitulation devant le diktat du pouvoir. Pour une large majorité des militants de l’opposition l’acceptation de Way mark comme opérateur technique est perçue comme une trahison. Au-delà de cette réalité politique, la distribution des postes au niveau des commissions clés de l’assemblée n’a pas accordé une place significative à l’opposition parlementaire. Les présidences des commissions des Finances, des Mines, et de la Défense sont des postes clés dans un parlement. A ce niveau,le RPG et ses alliés ont accaparé ces postes. Par conséquent cette opposition parlementaire n’aura pas une réelle influence sur l’action gouvernementale.
En plus le suffrage obtenu par M. Koundiano lors de l’élection du président de l’Assemblée Nationale a fait ressortir une certaine défection de députés qui émargent dans l’opposition. Madame Toffany (députée de l’UFDG et candidate au perchoir du parlement, Ndlr) n’a pas bénéficié du report complet des voix de son camp. Ceci montre que cette assemblée sera à géométrie variable. L’exécutif a la ferme intention « d’acheter des voix » pour atteindre selon les cas, la majorité qualifiée pour modifier les textes organiques. Donc soyons sur nos gardes !
-Récemment vous avez indiqué dans une de vos sorties médiatiques : ‘’Je suis prêt à rencontrer Cellou Dalein Diallo pour discuter des problèmes fondamentaux du parti (…)’’, est-ce une ouverture pour aplanir les divergences au sein du parti afin de mieux préparer les présidentielles de 2015? Expliquez-nous comment devrait se faire cette rencontre ?
-Je confirme mon intention. Ce qui m’importe c’est d’avoir un dialogue responsable, franc, constructif pour permettre à l’UFDG de traverser les tourmentes actuelles en maintenant sa cohésion et son intégrité. En ce qui concerne les orientations politiques, il s’est avéré qu’au sein du parti existent deux courants politiques. Ces deux courants divergent par rapport à la gouvernance interne de l’UFDG et aussi sur l’analyse de la situation politique nationale. Ces divergences d’analyse font par conséquent, émerger des conclusions, des attitudes et des choix opérationnels différents.
Justement, je ne suis pas rivé à un « horizon 2015 », car si tel était le cas, alors ce serait une manière de conforter la stratégie politique d’Alpha Condé qui a débroussaillé sa marche vers « une réélection certaine » en usant du fichier électoral version Way-Mark et aussi de la violence comme il en a l’habitude.
Actuellement je milite fortement pour structurer l’opposition républicaine extra-parlementaire pour engager avec l’ensemble des forces vives nationales la mobilisation sociale et civique pour résister à la dictature et parvenir à l’instauration du véritable changement démocratique dont le pays a besoin. Ceci est un impératif, ici et maintenant !
-Dans le même ordre d’idée, vous avez affirmé je cite : ‘’Je suis au cœur d’une résistance farouche contre le pouvoir d’Alpha Condé’’. Dites-nous comment vous menez cette résistance étant déjà très loin de la Guinée ?
-La mobilisation sociale et civique des populations, notamment les jeunes et les femmes est indispensable pour sauver le pays de la descente aux enfers. La société civile guinéenne, combative, rénovée et porteuse des idéaux de réconciliation, de solidarité et de bonne gouvernance est de ce point de vue un acteur majeur de ce processus de libération de la société guinéenne. Nous l’avons tenté en 2007 sans totalement réussir. Cette fois-ci, nous tirons les leçons de nos échecs antérieurs pour engager toute la nation guinéenne sur le chemin de la résistance pour la démocratie, le progrès et l’Etat de droit. Les guinéens ont eux aussi droit au bonheur.
En ce qui me concerne, permettez-moi de rappeler des faits historiques, Nelson Mandela était en prison lorsque la lutte contre l’apartheid a été la plus active. De son exil londonien, le Général De Gaule a organisé la résistance contre les nazis et les pétainistes. L’Imam Khamenei confiné dans la banlieue de Paris à l’aide des cassettes audio a réussi à vaincre le Shah d’Iran. Je peux donner d’autres exemples pour vous dire que ma présence physique en Guinée n’est pas indispensable pour mener le combat contre la dictature. Je bénéficie de soutiens insoupçonnés dans le pays de la part d’hommes et de femmes qui luttent pour prendre en charge leur propre destin. Qu’importe l’endroit où je puisse me trouver, car ma vie est dédiée à mon pays.
-Vous avez également déclaré que la Guinée s’achemine vers un mode gouvernance à la Centrafricaine et que si l’on n’y prend pas garde, le pays risque de sombrer dans la violence. Estimez-vous que les deux situations sont réellement liées ?
-Permettez-moi de préciser pour vos lecteurs, que la République Centrafricaine a une évolution analogue à celle de la Guinée. Depuis l’indépendance en 1960, ce pays n’a connu que des dictatures caricaturales (empereur J. Bedel Bokassa), des séries de putsch militaires, des transitions inachevées et sabordées, une mal gouvernance chronique, une corruption des élites et une classe politique sans véritable leadership positif. En plus de cela, ces régimes ont suscité l’émergence d’antagonismes ethniques et maintenant religieux. Pire ils ont encouragé la prolifération des milices armées qui sèment la terreur et la désolation contre les populations civiles. Ceci fatalement à amener la République Centrafricaine là où elle est actuellement. Quid de la Guinée ?
La Sierra-Léone, le Libéria, la Côte-d’Ivoire, le Mali, la Guinée-Bissau tourmentée et la Casamance au Sénégal en convalescence ont été en proie à des conflits meurtriers. Dans ce tourbillon infernal, notre pays s’est toujours placé dans « l’œil du cyclone ». Cette situation est fortement fragile. La gouvernance d’Alpha Condé a aggravé les fragilités de la Guinée en la transformant en un baril de poudre prêt à exploser. Dire que le danger n’est pas là, c’est faire preuve de cécité politique avec des conséquences désastreuses incalculables.
-Que proposeriez-vous alors pour éviter cela en Guinée ?
-Voyez l’augmentation du carburant en Guinée et cela en dépit de l’atteinte du point d’achèvement de l’IPPTE, la pauvreté s’est élargie. Croyez-vous que la population pourra encore supporter ce calvaire supplémentaire ? Encore une fois, la mobilisation sociale et civique des forces vives du pays est l’alternative la plus réaliste pour stopper le déclin et la faillite du pays. Regardez, pendant ce temps le budget de la présidence est en moyenne d’un milliard de francs guinéens par jour. C’est révoltant et inacceptable. Le temps du sursaut national salvateur est venu.
-Votre mot de la fin ?
-Malgré les risques et les dangers qui planent au-dessus de la Guinée, je suis profondément optimiste pour l’avenir de notre pays. Cette croyance en un avenir meilleur pour la Guinée me donne la force et le courage pour lutter.
Interview réalisée par Diallo Boubacar 1
Pour Africaguinee.com
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