Dans une Interview accordée à notre Rédaction, Bah Oury (encore « officiellement » vice-président de l’Union des Forces Démocratiques de Guinée – UFDG) a abordé les sujets afférents à la vie socio-politique du pays. L’ancien exilé politique rentré en Guinée en janvier 2016, a exprimé sa gratitude envers le Président de la République « de son pays ». Monsieur Bah a également évoqué les accusations dont il fait l’objet de la part de l’ancien Président de la Transition, le Général Konaté. Il n’a pas manqué d’aborder la vie de UFDG parti dont il est fondateur. Enfin l’entretien a pris fin par une réflexion qui ouvre des perspectives quant à la nature de l’Etat qu’il entend mettre en place « …L’offre politique que nous promouvons est une alternative pour construire une forme d’Etat… ».
Bonne lecture.
Laguineeka : nous vous remercions, Monsieur Bah d’avoir accepté de répondre à nos questions. Il y a environ deux ans depuis que vous êtes rentré en Guinée après un exil forcé qui vous contraint de vivre en France. Quelle lecture faites-vous de la Guinée d’avant et d’après votre exil ?
BAH Oury : Il est difficile de répondre à votre question en quelques lignes. Je suis revenu au pays le 24 janvier 2016. La situation qui a prévalu avant cette période était marquée par un contexte politique crispé et violent, une épidémie de la fièvre hémorragique Ebola dévastatrice aussi bien pour des vies humaines que pour l’économie du pays, et une cohésion nationale profondément malmenée. C’est la raison pour laquelle, le Président de la République à notre rencontre d’octobre 2015 déclara : « la population guinéenne est fatiguée, il nous faut œuvrer pour un apaisement dans le pays. Les crises successives ne favoriseront jamais l’arrivée des investisseurs dans le pays. Il faut du travail et de la croissance économique pour atténuer ses souffrances ». Ainsi dés mon retour en Guinée, nous avons contribué à promouvoir des démarches politiques pour la décrispation, le raffermissement de la cohésion nationale et pour le renouvellement de l’offre politique. Des résultats notables ont été atteints dans ce sens, malgré une volonté farouche de quelques caciques de la politique guinéenne de s’y opposer avec becs et ongles. La clarification de l’espace politique est actuellement en cours. La situation économique n’est pas au beau fixe du fait d’une faiblesse préoccupante de la capacité de collecte de ressources, ce qui induit des difficultés pour les ménages dont le pouvoir d’achat est relativement faible. La Guinée économiquement est en convalescence. La forte demande sociale perceptible dans beaucoup de secteurs d’activités comme l’éducation nationale génère des conflits sociaux qui de plus en plus prennent le dessus sur les contradictions à caractère politicien. La situation est certes difficile, mais je reste confiant en l’avenir de notre pays. Il faut de la ténacité et une claire vision de l’avenir pour une durable sortie des crises.
BAH Oury : Sur le plan humain, j’ai du respect pour le Président de la République de mon pays pour maintes raisons : son expérience politique qui fait qu’il est depuis très longtemps au cœur des luttes politiques en Afrique, son militantisme panafricain au niveau de la FEANF, son engagement pour l’émancipation du continent africain et sa farouche ténacité d’atteindre les buts qu’il se fixe. Comme la plus part des intellectuels de sa génération il est animé d’idées généreuses mais qui au pouvoir se heurtent à un déficit de pragmatisme pour être efficacement accompagnées pour leur réalisation concrète. Aujourd’hui le Président Alpha Condé est en situation de responsabilité. Il préside à la destinée de notre pays et est la clé de voûte de nos institutions. Je lui souhaite de réussir dans les projets ayant pour finalité la transformation économique et sociale de la Guinée, car il y va de l’intérêt de notre destin collectif en tant que pays.
Sur le plan politique, je reconnais que le Président Alpha Condé a hérité d’un lourd passif en ce qui concerne les blocages structurels de la Guinée. Cette réalité m’amène à faire preuve de lucidité et de responsabilité. Apprendre des erreurs des autres pour éviter de les reproduire est source d’enseignement. C’est pour cela que je promeus une stratégie politique qui s’inscrit dans l’opposition constructive. Soutenir et applaudir tous les actes qui de notre point de vue consolident l’intérêt national d’une part et apporter des critiques objectives et responsables pour ceux qui lèsent nos intérêts nationaux d’autre part. J’appartiens donc à cette nouvelle forme d’opposition constructive qui est différente de l’opposition crypto-personnelle pour emprunter un terme familier au Président Senghor.
Laguineeka : lors du dernier changement de gouvernement qui a vu la nomination de Kassory Fofana, comme premier ministre, il vous a été attribué une volonté et même une envie d’intégrer la nouvelle équipe gouvernementale. Qu’en est-il réellement ? Vous sentez-vous capable de gouverner avec le Président Alpha Condé, que vous avez combattu avec rigueur et dureté par le passé ?
BAH Oury : La composition d’une équipe gouvernementale relève de la responsabilité du Président de la République, assisté du Premier Ministre. Il y a eu beaucoup de rumeurs non fondés me concernant, lors du dernier remaniement. Vous savez, la composition d’un gouvernement répond en général à des nécessités politiques diverses qui ont trait à la gestion du pays selon des moments, des circonstances, des objectifs à atteindre et des contraintes à vaincre. Regardez dans le passé, Mandela et Frederik de Klerk ont gouverné ensemble pour assurer une transition pacifique à la nation arc-en-ciel, Mao Tsé Toung et Tchang Kaï-Chek se sont unis pour combattre le Japon lors de la seconde guerre mondiale, Laurent Bagbo et Guillaume Soro n’ont–ils pas été ensemble les chefs de l’exécutif ivoirien ?
Laguineeka : Nous allons aborder la situation de l’Union des Forces Démocratiques de Guinée, le parti dont vous êtes fondateur. Vous avez été exclu du parti même si la justice a annulé cette exclusion en première instance. Quelle appréciation faites-vous de la situation du parti et de son avenir ?
Bah Oury : L’UFDG est en crise. Sa direction actuelle l’enfonce chaque jour dans un isolement suicidaire. Perte de valeurs, dégradation de son image, instrumentalisation du parti à des fins personnels et égoïstes sont les traits marquants de l’UFDG telle qu’elle est gérée aujourd’hui. Les militants sont déboussolés et désorientés par des mensonges et des contre-vérités qui sont érigés en dogmes. Toutefois, les yeux commencent à s’écarquiller et à entrevoir la lumière. La révolte gronde dans les rangs et la colère collective s’est accentuée suite à la gestion calamiteuse des dernières élections communales. Dans les circonstances présentes, l’UFDG court à sa perte avec l’actuelle équipe dirigeante, c’est pour cela que j’ai lancé depuis l’année dernière l’appel aux militants « il faut sauver l’UFDG du désastre ».
Laguineeka : la situation socioéconomique de la Guinée est à la fois complexe et difficile. La pauvreté n’a cessé de gagner du terrain. L’Etat (comme structure administrative organisée) n’existe quasiment pas. Il manque de la profondeur sur les choix et les orientations sociétaux. Nous dirons même que le pays manque d’hommes visionnaires à même d’imaginer et de penser la Guinée demain, prospère. A votre avis où se situent les blocages et quelle philosophie pensez-vous nécessaire pour bâtir un pays prospère ?
BAH Oury : Nous ne pouvons pas comprendre la situation dans laquelle se trouve notre pays, si nous portons des œillères. Plaçons nous dans une rétrospective longue de notre passé pour voir clair.
La Guinée en tant qu’entité administrative, a connu deux cycles politiques. La première celle de la colonisation (60 années) et la seconde (les 60 années depuis 1958) n’ont pas réalisé les aspirations fondamentales du peuple guinéen. Nous sommes à l’heure actuelle à l’aube d’un autre cycle politique que nous espérons vertueux et capable de faire émerger une nation moderne, soudée et prospère. Comme l’indique le célèbre économiste Schumpeter, pour qu’il y ait innovation et progrès, il y a nécessairement une destruction créatrice afin que le nouveau remplace l’ancien. Notre pays, la Guinée est dans cette phase. Le système dominant a atteint ses limites. Le pays aspire à être gouverné autrement afin de s’arrimer au train de la modernité mais sa classe politique est encore une représentation de l’ancien monde qui est devenu obsolète. Incapable d’envisager une vision pertinente et positive de notre avenir, celle-ci étouffe les velléités de changement. A chaque étape cruciale de l’évolution du pays, elle brille par sa vision passéiste, exacerbation de l’ethnocentrisme, adepte de l’immobilisme et de la mauvaise gouvernance, rétive au débat réellement démocratique et goût effréné pour la violence pour faire taire l’expression des contradictions. En d’autre terme, elle refuse de mourir alors que son temps est révolu. Dans cette perspective, l’avenir est en train de se construire en contestant les recettes surannées du passé. La génération des réseaux sociaux prend de plus en plus le leadership politique tout en réclamant un réel changement global du mode de gouvernance et de paradigmes. Notre approche de l’opposition constructive s’inscrit dans cette logique vertueuse et qui épouse les exigences de son temps. Le changement est ainsi devenu impératif et il est inéluctable. A notre modeste échelle, nous préparons avec l’aide de Dieu, ce qui sera demain !
Laguineeka : nous souhaitons vous interroger sur les récentes allégations de l’ancien Président de la Transition, le Général Sékouba Konaté, qui affirme que vous avez reçu un million d’euros des mains du Président Alpha Condé, afin dit-il de déstabiliser l’UFDG et Cellou Dalein Diallo. Pour l’heure le Général Konaté n’a apporté aucun élément matériel pour étayer ses dires. Ce sont des accusations lourdes de sens contre vous qui faites de l’intégrité une question de principe. Quelle est votre part de vérité ?
BAH Oury : Comme je ne traîne pas de casseroles, mes adversaires depuis longtemps cherchent à ruiner ma réputation et à brouiller mon image. Ils ont tout tenté, y compris le crime (05 février 2016) mais ils ne sont pas parvenus à leur funeste but. Ils veulent maintenant me distraire pour me dévier de mon chemin. Ils perdent leur temps et leur salive.
Le Général Sékouba devrait plutôt apporter un éclairage sur sa gestion de la transition. Pourquoi m’avoir agressé dans la concession du candidat de l’UFDG à la veille du second tour des présidentielles de 2010 ? Pourquoi malgré une défaite « inattendue », le candidat de l’UFDG à ces élections a toujours ménager le président par intérim de la transition ? En effet lors d’une interview accordée à l’hebdomadaire Jeunafrique en décembre 2010, ce candidat avait dit du Général Sékouba Konaté « Il a bien assumé sa mission ». Les militants de l’UFDG doivent ainsi s’interroger sur ces relations incestueuses et troubles qui les ont privé de leurs victoires. C’est ce qui m’importe pour le moment.
Laguineeka : Nous terminons cette interview par un nouveau concept. En effet, nos invités sont appelés à plancher librement sur un sujet au choix. Le but est d’apporter une réflexion philosophique profonde sur les grands enjeux sociétaux. Vous avez à choisir l’un des trois thèmes suivants :
- L’Etat et le Citoyen
- Démographie et progrès social
- Condensé de l’histoire de la pensée politique
BAH Oury : Je souhaite aborder l’Etat et le Citoyen dans le contexte guinéen. À l’aune de mon expérience et de ma connaissance des réalités nationales guinéennes, le vrai problème de la Guinée est la crise de l’Etat. A cet égard, le livre de Bernard Ameillon écrit en 1964 intitulé « Guinée : le bilan d’une indépendance » est très instructif. L’Etat en Guinée est de type néo-patrimonial c’est-à-dire c’est un système politique de captation des ressources au service exclusif d’une minorité. En effet dans ce contexte la compétition politique et donc l’accession au pouvoir n’est qu’une manière d’accéder aux sources de richesse et d’enrichissement illicite pour entretenir une clientèle et des clans d’affairistes. Ainsi l’ethno-stratégie, la mauvaise gouvernance, l’instrumentalisation de la violence, et la violation des droits des citoyens ne sont que des attitudes secondes de la dynamique principale à savoir s’approprier des leviers de commande de l’Etat pour siphonner ses ressources. L’Etat colonial et l’Etat postcolonial sont de cette catégorie.
A ce niveau, le citoyen n’est qu’un simple rouage dans une logique d’exploitation qui ignore ses droits formels. L’Etat de droit n’est alors qu’un habillement verbal.
L’Etat néo-patrimonial a aujourd’hui atteint ses limites. D’où les crises que nous vivons. L’offre politique que nous promouvons est une alternative pour construire une forme d’Etat qui se réconciliera avec la société civile (sens de Gramsci et d’Hegel) et qui apportera le bien être à l’ensemble de sa population. Ainsi le nouveau cycle politique qui émerge est le dépassement de l’Etat néo-patrimonial. C’est un enjeu qui dépasse la Guinée car il concerne pratiquement la quasi-totalité des Etats africains. Réformer l’Etat pour vaincre la pauvreté, participer pleinement à la révolution numérique, et s’adapter aux nouvelles contraintes écologiques de changement climatique sont les enjeux de notre temps. Ceci est de loin plus passionnant et utile que de s’intéresser à des querelles byzantines et inutiles. Utilisons positivement notre énergie afin de construire enfin notre pays.
Merci pour votre bienveillante attention.