CONAKRY- Mohamed Ibn Chambas s’apprête à quitter ses fonctions au bureau des Nations-Unies pour l’Afrique de l’Ouest, après un mandat de sept ans. Il a été remplacé par le Tchadien, Mahamat Saleh Annadi. Quel bilan peut-on trier de son action dans le processus démocratisation de la Guinée ? Nous avons interrogé le président de l’UDRG Bah Oury.
AFRICAGUINEE.COM : Quel bilan tirez-vous de l’action de Mohamed Ibn Chambas dans le processus de démocratisation de la Guinée ?
BAH OURY : Nous avons des relations avec monsieur Ibn Chambas depuis plus d’une décennie. Durant la période très tendue des années 2007/2008 et 2009, il était au niveau de la CEDEAO. Mais il faut reconnaitre qu’à cette époque-là, la CEDEAO était beaucoup plus active pour contribuer à trouver les voies et moyens pour régler la crise guinéenne. Il a été le co-président du groupe international de contact pour la Guinée durant la transition avec le CNDD. Et nous, au niveau des forces vives, nous étions des interlocuteurs très assidus avec lesquels monsieur Ibn Chambas du groupe international de Contact et le CNDD étaient en discussion pour essayer de trouver des solutions pour nous permettre de gérer correctement la transition à l’époque.
Ça été très tendu, mais, de ce point de vue, nous dirons que cette période, la communauté internationale, la CEDEAO, l’union européenne y compris les Nations-Unies avaient contribué avec efficacité, à jeter les bases d’une démocratisation en profondeur de la société guinéenne pour ne plus avoir à répéter ces genres de processus. Car, ils avaient financé le recensement électoral qui était correctement fait avec SAGEM et le fichier, même s’il n’était pas tout à fait exhaustif, mais c’était une base suffisante pour permettre à la démocratie guinéenne de s’enraciner dans des processus électoraux crédibles et non contestables.
Mais, par la suite, j’ai connu monsieur Ibn Chambas au niveau de la représentation de l’ACP (Afrique Caraïbe Pacifique) où il était un des représentants, à Bruxelles. J’étais en exil. De ce point de vue, je le remercie de m’avoir accueilli à l’époque pour échanger sur la situation guinéenne. Par la suite, je l’ai retrouvé à Dakar comme le représentant des Nations-Unies en Afrique de l’Ouest, principalement. Donc, c’était un fin-connaisseur de la situation de la Guinée.
Maintenant, le contexte international a fortement évolué. Les organisations internationales, avec les pertes de la dynamique du multilatéralisme, avec la propension des régimes beaucoup plus populistes et conservateurs un peu partout à travers le monde et notamment du côté de l’Europe et des Etats-Unis ont contribué à faire que les organisations internationales ont perdu de leur efficacité par rapport à des actions vigoureuses pour la prévention des conflits et pour contribuer à trouver des solutions.
Les grosses organisations, quelles que soient les compétences d’une personnalité et de sa volonté à faire avancer les choses, c’est une machine excessivement lourde avec des enjeux politiques tels, avec des contradictions et des équilibres tellement complexes et des fois, la plupart des responsables des Nations-Unies et non des moindres ne sont pas tout à fait satisfait des missions qu’ils font sur le terrain. Parce que, il y a tellement d’entraves, de contraintes, des jeux politiques qui font que des gens, des fois, ont du mal à montrer leur bonne volonté, leur efficacité pour résoudre les problèmes.
Le contexte actuel dans lequel nous sommes en train de vivre, avec le principe de subsidiarité qui dit que si la CEDEAO opte pour une position, l’Union Africaine est tenue à y aller dans le même sens, les Nations-Unies de même et l’Union Européenne bien qu’indépendante, de ce point de vue, est tenue de prendre en compte les décisions des autres organisations internationales. Et l’efficacité du représentant des Nations-Unies en Afrique de l’Ouest dans le sens de la mission de paix des nations-unies de manière globale dépend fortement de la position et de l’efficacité de l’équipe qui gère la CEDEAO. Si l’équipe qui gère la CEDEAO est de ce point de vue, en deçà des attentes, il va de soi que le représentant du secrétaire général des Nations-Unies pour l’Afrique de l’Ouest verra sa mission impactée négativement par la position des organisations qui sont, par la subsidiarité, les premières à se positionner et que les Nations-Unies doivent en conséquence suivre.
Voulez-vous dire que, dans le cas de la crise guinéenne, si les Nations-Unies n’ont pas su prendre des décisions fortes, c’est par ce que la position la CEDEAO n’était pas favorable ?
C’est la raison pour laquelle, au niveau du FNDC, personnellement, j’avais insisté à maintes fois sur l’indispensable nécessité de faire une action au niveau d’ABUJA, non pas par le biais de la Cour de Justice de la CEDEAO, mais rencontrer le comité exécutif de la CEDEAO et également le représentant de l’Union Africaine pour poser les questions relatives à notre pays. Malheureusement, ça n’a pas été fait, et de ce point de vue, la nature ayant horreur du vide, c’est ce qui explique cela.
Que retenez-vous des actions de monsieur Chambas en Guinée ?
C’est un connaisseur de la situation Ouest-africaine. Ça fait pratiquement deux décennies, Monsieur Mohamed Ibn Chambas a côtoyé de très près l’évolution démocratique, la période euphorique du processus démocratique qui montait dans le bon sens et il a vu aussi surtout dans les cinq dernières années, le recul de la démocratisation de nos pays et de nos sociétés. C’est un bilan et une expérience excessivement riche qui mériteraient d’être partagés plus largement pour nous permettre de tirer des leçons pour savoir davantage les tenants et les aboutissants qui ont fait que le processus, notamment au niveau de l’Afrique de l’Ouest, de la démocratisation bat de l’aile actuellement.
Entretien réalisé par Siddy Koundara Diallo Pour Africaguine.com
Créé le Dimanche 21 mars 2021 à 13 :40