I LA POLITIQUE MINIERE D’ALPHA CONDE
Les perspectives de développement économique de la Guinée à moyen terme sont déterminées par l’importance des investissements dans le secteur minier. Grand producteur de bauxite dont elle détient plus du 1/3 des réserves mondiales, elle est également la plus importante source future du minerai de fer du monde après l’Australie et le Brésil. Les investissements directs étrangers (IDE) projetés dans les mines pourraient atteindre 40 % du PIB avec 50 milliards de dollars d’investissements attendus dans les prochaines années(1). En plus de ses ressources minières, le pays dispose d’un potentiel hydroélectrique estimé à 6000 mégawatts. La construction des barrages sur le Konkouré pourrait le rendre exportateur d’énergie électrique vers ses voisins. Ces deux facteurs attirent la convoitise des grands groupes miniers internationaux mais la mal-gouvernance endémique du secteur minier constitue une réelle entrave à l’essor économique et industriel de la Guinée.
La politique minière des nouveaux dirigeants guinéens
Au cours de la campagne électorale le candidat du RPG avait exprimé sa volonté de réexaminer les concessions minières accordées par ses prédécesseurs qui selon lui(1) « ont bradé pour leur compte les ressources nationales ». Son courroux s’explique car entre 1993 et 2008, la contribution de la filière bauxite-alumine aux recettes publiques avait chuté de 60% à 20% et la part des exportations tombait de 70% en 1990 à 60% en 2005. La crise s’est accentuée davantage en 2010 avec la chute des revenus de CBG à 84 millions de dollars contre 110 millions de dollars en 2009(2). Avec des coûts de production élevés et une baisse drastique des revenus, « l’effet de ciseau »est inévitable(3). C’est dans ce contexte morose que le nouveau Chef de l’Etat s’installe au pouvoir.
En septembre 2011, un nouveau code minier a été adopté par le CNT qui accorde à la Guinée 15% des actions dans chaque projet et qui pourra exercer une option d’achat de 20 % autres au taux du marché. Cette disposition n’a pas été bien accueilli par les milieux proches des miniers qui l’ont qualifiée de contre-productif pour l’investissement, car il introduit une instabilité contractuelle. La morosité de l’environnement minier guinéen a conduit à des amendements du code adoptés le 08 avril 2013 par le CNT. Ceux ci concernent notamment le niveau des taxes minières ,qui sont ramenées à 4 dus environ la tonne de bauxite brute exploitée au lieu de 11-13 dollars us précédemment . L’impôt sur les bénéfices industriels et commerciaux passe de 35 à 30%. Toutefois, il n’est pas sûr que cette revue considérable à la baisse suffise à vaincre la méfiance des investisseurs, qui sont déboussolés par la politique à courte vue et par des “revirements brusques, déstabilisants et fréquents” des autorités guinéennes . Le maître d’oeuvre de cette architecture réglementaire et fiscale est la fondation Revenu Watch Institute (RWI) du milliardaire George Soros qui livre des “conseils désintéresses” sur les questions minières avec la bénédiction de M.Alpha CONDE et de son fils Mohamed CONDE. Au regard de l’agressivité légendaire du magnat britannique dans les affaires, cet intérêt pour la Guinée ne serait pas seulement d’ordre philanthropique. Le gouvernement guinéen bénéficie également d’une attention bienveillante de la part de l’ancien premier ministre britannique Tony Blair qui dispense des conseils techniques par le biais de son ONG Initiative de bonne gouvernance pour l’Afrique. Cet aréopage de personnalités politiques internationalement connues autour d’Alpha Condé n’a pas réussi à soustraire les dirigeants de Conakry des travers de la corruption, du manque de visibilité ,de cohérence et de rationalité de leur option stratégique sur l’exploitation des ressources minières. Ainsi les scandales sont retentissants et les déconvenues sont de notoriété publique.
Le scandale Palladino
La révélation par le Sunday Times(4) de Londres de l’affaire Palladino a jeté un réel embarrassas parmi ses amis et mis en lumière l’opacité de la gouvernance d’Alpha Condé. De quoi s’agit-t-il ? En avril 2011, le ministre des mines, Mohamed Lamine Fofana et son homologue des Finances, Kerfala Yansané signent un accord secret de prêt de 25 millions de dollars avec Walter Hennig, un homme d’affaires sud-africain propriétaire d’une compagnie Palladino Capital domiciliée dans les Îles Vierges Britanniques. L’une des clauses de cet accord qui porte à controverse est celle qui stipule que si les autorités guinéennes ne parviennent pas à rembourser ce prêt, Palladino Capital convertira la créance en une participation de 30% dans les opérations de la SOGUIPAMI (Société Guinéenne du Patrimoine Minier) créée en août 2011.Devant le tollé général, la Banque Mondiale diligente une enquête. M. Soros pour se démarquer sollicite l’intervention de la « Sérious Fraud Office » l’agence de lutte contre la fraude britannique et le gouvernement guinéen rétropédalent en remboursant le prêt en catimini pour éviter de compromettre l’atteinte du point d’achèvement du PPTE.
Ce scandale révèle que la SOGUIPAMI est un instrument politique de financement opaque sous le contrôle exclusif du Président et de son fils Mohamed Condé. En effet après coup, l’opinion apprend que des prêts ont été contractés dans des conditions similaires pour 150 millions de dollars auprès de l’Angola et 6 millions de dollars du Congo-Brazzaville. La gravité des faits a amené le FMI a exigé la dissolution pure et simple de la SOGUIPAMI au motif que cette structure favorise la mal-gouvernance. Toutefois une solution de compromis a été trouvée afin de lui retirer toute prérogative commerciale. En retour le FMI exige que soit mis fin à l’existence d’une administration parallèle et occulte du secteur minier rattachée à la Présidence de la République par la limitation des attributions de la SOGUIPAMI seulement à la gestion du portefeuille minier de l’Etat au compte du Trésor Public.
L’accord transactionnel de 700 millions de dollars US avec Rio-Tinto
Avant même que l’encre de la signature de l’accord avec Walter Hennig ne sèche, le gouvernement guinéen engage la Guinée dans un accord dit transactionnel avec Rio-Tinto dans le secret absolu le 22 avril 2011 qui lui permet d’empocher 700millions de dollars.
En juillet 2012, devant un parterre de journalistes et en présence de Tony Blair, le Chef de l’Etat guinéen déclare sans aucune gêne « les négociateurs guinéens ont été dupés par Rio-Tinto dans l’accord transactionnel par déficit de compétence technique », oubliant au passage qu’avant d’être technique la gestion des réserves du Simandou est primordiale pour l’avenir du pays dont il a la charge et minimise de surcroit son propre rôle dans cette négociation. Jusqu’à présent les deux parties contractantes n’ont pas encore exprimé de manière convergente la signification économique du montant objet de l’accord, ce qui préfigure des lendemains conflictuels. Diverses explications sont plausibles.
- D’abord la cession des 44% des parts de Rio Tinto du projet Simfer sa (les blocs 3 et 4 du Simandou) en faveur de Chinalco pour 1,4 milliard de dollars Eu en 2010, a généré une plus-value dont les 700 millions de dollars Eu représentent la contrepartie pour la Guinée.
- Ou alors s’agit-t-il d’une avance sur des impôts futurs qui a été remboursée par un congé fiscal de 8 ans(5) à compter des premières bénéfices imposables ?
- Ou encore serait –t-il le prix à payer au titre du ticket d’entrée nécessaire pour prendre possession de la concession ?
- Ou enfin ,comme le prétendent certaines autorités de Conakry, le montant de l’amende que Rio Tinto a dû payer pour avoir « gelé » les réserves minières du Simandou depuis 1996 sans engager véritablement un début d’exploitation ? Autant de questions qui restent sans aucune réponse précise.
Quoiqu’il en soit l’accord transactionnel stipule que le versement est assujetti à la promulgation de décrets présidentiels accordant la concession minière ainsi que l’approbation de la joint-venture dans le projet Simandou entre Chinalco et Rio-Tinto. Pour Rio – Tinto, la clause 1.5 clarifie sa position, à savoir que la somme transactionnelle « sera portée à l’actif de Simfer sa en raison, notamment, du fait que celle-ci est versée en contrepartie de la confirmation de ses droits miniers exclusifs ». Pour conforter ces intérêts, le géant minier fait insérer que les termes de l’accord ne seront pas affectés par d’éventuelles modifications à l’issue de la révision du code minier ou de toute autre révision future.
Cet accord ne signifie pas pour autant que tous les obstacles sont levés pour l’exploitation du minerai de fer du mont Simandou. Le montage financier se heurte au manque de capitaux du côté de l’État guinéen. Détenant 35 % du projet dont 15% de droit et les 20% des actions doivent être achetées au coût réel ou au prix du marché, la Guinée se retrouve dans une phase délicate si elle ne cède pas ses actions supplémentaires. En effet le prix du ticket est très élevé pour un pays qui figure parmi les moins avancés du monde. Les modifications du code minier ont maintenu les taux de participation de l’État tels que prévus initialement ,sans pour autant interdire une éventuelle cession de la participation contributive de l’État. Ainsi 20% des parts du projet Simandou juridiquement attribués à l’État guinéen pourraient être cédées à d’autres investisseurs si la clause du droit de préemption de Rio Tinto et de la SFI n’est pas explicité dans le cadre de la convention de cession de la concession.
Le casse-tête du financement des infrastructures minières
Le second volet de l’accord concerne la réalisation des infrastructures. Une société de gestion du projet des infrastructures du Simandou détenue à 51% par l’Etat guinéen est créée (SPV Simfer) qui nécessite la mobilisation de 5 à 8 milliards de dollars Eu en quelques mois pour le tracé d’une ligne de chemin de fer de 800 km reliant le sud-est du pays à un nouveau port minéralier dans la préfecture de Forécariah. L’impossibilité pour la Guinée de lever sa quote-part pour le démarrage des travaux, oblige les autorités guinéennes à chercher des partenaires pour résoudre cette quadrature du cercle. Deux années d’atermoiements, de reniements et la politique ” d’un pas en avant et deux pas en arriére” ont fini par faire capituler le gouvernement guinéen devant la contrainte financiére de mobiliser une dizaine de milliards de dollars US. C’est ainsi que l’amendement qui stipule ” la construction d’infrastructures miniéres est du ressort des sociétés minières selon les besoins de leurs opérations” est adopté. Pour masquer la reculade et le camouflet politique que les autorités guinéennes ont subi , la durée avant appropriation des infrastructures par l’Etat est modifiée pour correspondre à la durée de retour sur investissement augmentée de 5 ans afin d’assurer une juste rentabilité aux investisseurs. Cette politique en zig-zag aurait pu être évitée s’il y avait un minimum de cohérence dans la gestion des questions minières de la Guinée. Le nouveau code ouvre la voie sur le plan réglementaire à la construction des infrastructures (chemin de fer et port minéralier) par les investisseurs qui en deviendront les utilisateurs et les propriétaires.
Peu enclin à exploiter le fer guinéen dans un contexte de crise économique mondiale marquée par la faiblesse de la demande, Rio-Tinto a tiré profit de ce remue-ménage, par le gel des ressources du Simandou.La morosité du marché international des matières premières n’a nullement empêcher le groupe minier d’assurer l’expansion de son projet Pilbara en Australie Occidentale. Le PDG de Rio-Tinto d’alors Tom ALBANESE pouvait toujours arguer pour justifier le gel du projet guinéen en utilisant l’excuse « on attend la quote-part des guinéens ». En effet une clause de l’accord transactionnel stipule que chaque partenaire du projet doit mobiliser sa part de financement des infrastructures au prorata de sa participation, et ce avant le démarrage des travaux de construction.
Les amendements du code minier ont permis à M. Soros de présider le 16 juin dernier à Londres, une concertation de l’ensemble des partenaires au projet Simandou pour élaborer “le cadre d’investissement ” lié au financement ,à la construction et à l’exploitation du réseau de transport . Les discussions font entendre que cette logistique sera accessible à d’autres utilisateurs ,comme pour amadouer une opinion publique guinéenne réticente à l’idée que les infrastructures notamment le transguinéen ne sera pas une propriété de l’État.
La signature de la lettre d’intention relative à la mise en place du cadre d’investissement à la mi-août devant définir les conditions et le calendrier d’exécution détaillé du projet n’a pas pour autant dissiper tous les nuages qui entourent l’exploitation d’un des plus grands gisements de fer du monde. En effet ce nouveau cadre d’investissement du Simandou est en concurrence avec deux autres projets élaborés avec des investisseurs internationaux que les autorités guinéennes ont sollicité pour assurer la mobilisation du financement nécessaire pour la construction des infrastructures minières à la hauteur de la participation de l’État.
Deux approches divergentes avec le cadre d’investissement du projet Simandou de Rio – Tinto
Dés le début le géant minier Rio Tinto avait marqué sa préférence pour un financement BOT (Build Operate Transfert) pour la construction des infrastructures (chemin de fer et port minéralier), alors que le Chef de l’Etat guinéen avait rejeté catégoriquement cette option. Cette mésentente est à l’origine de deux démarches pour obtenir le financement des infrastructures.
• Le schéma Chinois avec African Iron Ore Group (AIOG)
La premiére approche fait intervenir African Iron Ore Group (AIOG)(6) , cotée à Londres et associée avec China Rail Engineering Corporation (CREC) et China Railways and Machinery Corporation (CRM) pour mobiliser le financement. Dans le pacte gré à gré qui lie la Guinée à AIOG, M. Alpha CONDE concède 40% des parts de la nouvelle entité Infrastructures Minières de Guinée (IMG) contre la promesse de la mobilisation des fonds avec les chinois. Ainsi sans tambour ni trompette M.Alpha CONDE cédé un pan important du patrimoine minier de la Guinée sur la base d’une promesse hypothétique de mobilisation d’un financement extérieur. Cette décision s’est heurtée immédiatement à deux oppositions, l’une d’ordre institutionnelle et l’autre à caractère juridique.
En effet la Soguipami liée à AIOG dans un partenariat public-privé au sein Infrastructure Minière de Guinée Holdings (BVI) Ltd a vu ses prérogatives réduites à une simple gestion du patrimoine minier guinéen pour le compte du Trésor Public. Cette disposition rappelle l’on-le a été une conditionnalité des Institutions de Bretton-Woods pour valider l’atteinte du point d’achèvement de l’IPPTE par la Guinée en septembre 2012. En dépit de cela, M. Mohamed Lamine FOFANA, Ministre des mines guinéen préside dans les locaux de son ministère le 23 janvier 2013 le premier conseil d’administration de IMG. Le communiqué de presse publié à cet effet révèle l’engagement net de la plus haute autorité de l’État guinéen à la mise en place de cette structure. Il y est écrit ” Au nom de la République de Guinée, cette première réunion du conseil de IMG est très importante pour le pays, ceci dans le cadre de la valorisation de ses ressources minérales à travers la promotion et le financement de la réalisation des infrastructures de transports (chemin de fer) et d’évacuation (port) qui sont essentielles pour le développement des ressources nationales. Le Président (Alpha CONDE) ,sans ambigüité, a précisé que notre Nation doit avancer rapidement et IMG a été créée pour répondre à cette vision”. De manière explicite ,cela revient à officialiser le non respect par le gouvernement guinéen des engagements pris auprès du FMI et de la Banque Mondiale de confiner la Soguipami à une entité simple de gestion du patrimoine minier pour le compte du trésor public.
Ensuite, les autorités chinoises avaient exigé le dépôt officiel de l’étude de faisabilité conformément à l’accord transactionnel pour débloquer le financement nécessaire. Ce qui fut fait le 9 octobre 2012. A priori AIOG devrait pouvoir boucler le financement pour le compte d’IMG. C’est en ce moment, que l’ivoirien Thierry Tamoh avant de quitter la SFI pour prendre la direction du groupe bancaire panafricain Ecobank mis à l’index Bert Copper le patron d’AIOG dans une lettre au Ministre des Finances guinéen, M. Kerfala Yansané. En fait la SFI, détentrice de 5% des actions du projet Simandou, a émis des réserves sur la participation d’AIOG et a fait savoir que « le transfert des actions de l’État dans Simfer sa et la SVP Simfer est soumis au droit de préemption des actionnaires initiaux ». Mais la mise en place du cadre d’investissement du Simandou et les amendements du code minier viennent de fermer ou du moins provisoirement le partenariat Etat Guinéen-AIOG. Le président du comité de revue des contrats miniers, M. Nava TOURE ne vient-il pas de déclarer “A ma connaissance, AIOG n’est pas partie prenante dans Simfer-Simandou”.
Un conflit juridique supplémentaire en perspective est ainsi créé devant les juridictions arbitrales internationales où la Guinée pourrait être condamnée à payer des dizaines de millions de dollars US pour dédommager les possibles plaignants.
• Le schéma brésilien avec Banco BTG Pactual d’André Estives
Au cours des négociations avec AIOG , d’autres discussions étaient également orientées vers le Brésil. En effet, le 11 septembre 2012, l’avion privé d’André Estives propriétaire de la société de courtage Banco BTG Pactual conduit de Conakry au Brésil une délégation guinéenne comprenant, Mohamed Lamine Fofana ministre des mines, Bah Ousmane ministre des travaux publics et Mohamed Condé fils du Chef de l’Etat. Ce qui vaut à Banco BTG Pactual d’être sollicitée par le gouvernement guinéen pour trouver de nouveaux partenaires pour l’exploitation du mont Simandou. Contre-toute attente une clause d’exclusivité figure dans le projet d’accord avec la firme brésilienne qui condamne avant terme l’approche AIOG. Là aussi, le montage financier préconisé est des plus opaques. L’irruption de BTG Pactual dans le dossier Simandou est perçue à ce moment par Rio-Tinto comme une menace. Le Ministre des mines n’a-t-il pas clairement déclaré par un communiqué de la présidence guinéenne « Nous consultons BTG Pactual et B&A pour le financement de la ligne ferroviaire trans-guinée et des infrastructures liées ». Implicitement la déclaration ministérielle n’officialise-t-elle pas la signature du contrat de conseils financiers avec BTG Pactual ? En tout état de cause cela reviendra à la remise en cause de l’accord transactionnel et à lézarder le cadre d’investissement du Simandou qui n’est pas encore tout à fait établi dans les faits.