Le weekend surpassé, Bah Oury premier vice président de l’UFDG était en Suisse, où il a animé une conférence auprès des membres et sympathisants et de son parti. Au sortir de la rencontre, il a bien voulu répondre aux questions de Guinéenews. Lisez !
Guineenews© : Le président Alpha Condé suite au putsch manqué dont il a été victime, vous a été l’un des condamnés par contumace après le procès. Mais l’autre accusé dans cette affaire était aussi Diallo Sadakadji qui, apparemment vient de rejoindre les rangs du parti au pouvoir après sa récente rencontre avec le président Alpha à Dakar et la visite de courtoisie du chef de l’État à son père à Labé. Quelle lecture faites-vous de cette situation ?
Bah Oury : Il est vrai que M. Alpha Condé avait déclaré à des journalistes basés à Dakar en septembre 2011, que Diallo Sadakadji, Tibou Kamara et moi-même étions les organisateurs de la prétendue attaque de son domicile le 19 juillet 2011. Depuis lors, des trois, je suis le seul qui a été condamné par contumace par une justice aux ordres. Aujourd’hui près de 15 personnes sont incarcérées et des haut-officiers de l’armée dans la totale illégalité sont emprisonnés sans avoir été jugés. Dans les faits, Diallo Sadakadji et Tibou Kamara sont comme moi des exilés politiques. Les récentes retrouvailles de M. Alpha Condé et de Diallo Sadakadji sont à mes yeux une opération de communication dans le cadre d’une campagne électorale. En l’absence d’une décision officielle, publique et juridiquement actée, je conseillerai la prudence à tous mes compagnons d’infortune. Il ne faut pas se méprendre dans les interprétations des attitudes politiques du chef de l’État guinéen. C’est un renard politique dont il faut se méfier.
Guineenews© : S’il arrivait que le président vous tende la main de la collaboration après votre condamnation par contumace, quelle serait votre réaction ?
Bah Oury : A ma connaissance, ceci n’est pas d’actualité. En tournée en Haute-Guinée, M. Alpha Condé vient de déclarer à ses partisans : « Faites en sorte de m’élire dès le premier tour, pour que nous pussions gouverner seuls le second mandat sans les alliés qui m’ont empêché de réaliser mon programme ».Dans ce contexte, il est illusoire de penser que M. Alpha Condé s’aventurerait à tendre la main à une véritable opposition. Ceci dit, je me bats pour des convictions démocratiques, pour un certain idéal de justice et pour une vision de mon pays qui sont aux antipodes de la gouvernance de M. Alpha Condé. Par ailleurs, je suis solidaire de ceux qui souffrent injustement en prison et qui assistent à la dislocation de leurs familles car celles-ci ne bénéficient pas de soutiens conséquents. Je souhaite ardemment qu’ils recouvrent leur liberté le plus rapidement possible.
Guinéenews© : Vous êtes à Genève pour rencontrer les militants de votre parti en vue des prochaines échéances électorales. Quelle est la teneur du message que vous leur avait adressé ?
Bah Oury : J’ai insisté sur trois principaux points : à savoir que les accords politiques du 20 août 2015 que le ministre de la Justice avait qualifiés d’historiques sont restés lettres mortes. Dans ces conditions, l’organisation des élections présidentielles le 11 octobre 2015 est un risque majeur pour la Guinée, car pouvant conduire au désastre complet à court et à moyen terme de notre pays. En conséquence, tous les acteurs politiques nationaux et la communauté internationale sont interpellés afin de stopper rapidement un processus annonciateur de tragédies humaines futures. Enfin, la peuple guinéen et notamment sa jeunesse doivent prendre leur destin entre leurs mains pour nous éviter la perpétuation d’errements politiques qui nous ont déjà fait beaucoup de torts.
Guineenews© : Quelle stratégie L’UFDG souhaite-t-elle adopter pour gagner les élections présidentielles du 11 octobre 2015 ?
Bah Oury : Les élections projetées le mois prochain, ne sont ni transparentes et ni crédibles en atteste la caducité des accords politiques du 20 août dernier qui, malgré leurs imperfections avaient justifié la participation des candidats de l’opposition à ce scrutin. En l’absence d’un minimum de consensus sur l’organisation de ces élections présidentielles, je vois mal comment un autre candidat autre qu’Alpha Condé sera déclaré vainqueur. Adopter la politique de l’autruche en feignant de croire que la situation est normale est une source grave d’enlisement durable de la crise de la gouvernance dans notre pays. C’est la raison pour laquelle, nous n’avons pas le droit de croiser les bras et assister en spectateurs à la descente aux enfers de notre Guinée. Ce qui est raisonnablement à l’ordre du jour est le sauvetage d’un pays en détresse et non une élection présidentielle dont les résultats sont déjà connus.
Guinéenews© : Pourquoi votre pessimisme viscéral sur l’avenir de la Guinée et face aux dirigeants de notre pays, c’est-à-dire ceux de la mouvance et de l’opposition ?
Bah Oury : Depuis très longtemps, notre pays baigne dans une culture de mal-gouvernance dont la population guinéenne est la principale victime. Malgré les potentialités agricoles, minières, énergétiques et humaines dont regorgent la Guinée, notre pays se classe parmi les plus pauvres au monde. Est-ce une fatalité congénitale ou la persistance d’une crise profonde de leadership dont souffre la Guinée ? J’opte pour la seconde hypothèse. En effet, des tentatives collectives fortes ont eu lieu pour sortir notre pays de l’impasse en mettant en avant les luttes sociales et syndicales en 2006 et 2007, par des manifestations populaires en 2009 et dans le cadre des élections présidentielles de 2010. A chaque fois, ce fut l’échec dont l’élite politicienne du pays en est la principale responsable. Elle n’a pas hésité à réprimer avec sauvagerie les mouvements de contestation, le 22 janvier 2007 avec plusieurs dizaines de tués au pont Tombo de Conakry ; le 28 septembre 2009, c’est l’horreur ; les répressions et les assassinats ciblés sont légions au cours de la période récente. Aujourd’hui encore, c’est la continuité de cette gouvernance d’un système politique archaïque, violent et prédateur qui use et abuse de l’ethno-stratégie pour se perpétuer. Donc, les tenants de cette logique néo-patrimoniale et prédatrice se recrutent aussi bien dans la mouvance présidentielle actuelle qu’au niveau de ceux qui se réclament de l’opposition. Par conséquent, la situation actuelle de la Guinée ne fait que confirmer mes propos. Nous vivons les derniers moments d’un cycle politique qui a commencé depuis l’indépendance nationale. C’est ce qui fonde mon optimisme. Tout accouchement est douloureux voire tragique et une Guinée nouvelle est en train d’émerger par dessus les limbes de « la mamaya ambiante ». Il suffit de voir les jeunes qui se battent, qui aspirent à la modernité, qui sont frustrés par le retard accumulé et qui ont soif de changement et de grandeur pour savoir que nous sommes à l’aube de profonds bouleversements qui vont libérer l’énergie créatrice des guinéens. J’y crois de ton être !
Guinéenews© : Le président Alpha Condé avait d’ailleurs exigé en 2010 un report des élections de 4 mois ; pensez-vous que l’opposition dispose aujourd’hui des moyens de faire la même chose ?
Bah Oury : En politique, ce qui prime est le rapport de forces qui existe entre les acteurs en présence. En 2010, le candidat Alpha Condé avait bénéficié de la complicité active des autorités de la transition pour qu’il puisse imposer sa « logique de guerre » alors que nous étions dans une « logique électorale ». En 2015, il réédite la manœuvre du « rouleau compresseur russe » pour dompter toutes les institutions du pays, acheter les consciences sur une vaste échelle, réprimer les récalcitrants et promettre la lune aux plus crédules car sa position de chef de l’État le lui permet. L’opposition quant à elle, est mise devant sa responsabilité. Elle a le choix entre accompagner Alpha Condé et ensuite périr ou prendre son courage et refuser dès à présent la mascarade électorale. C’est une question de conscience et de loyauté vis à vis du peuple guinéen.
Guinéenews© : Votre dernier mot, Monsieur Bah
Bah Oury : Malgré la situation difficile pour notre pays, je garde l’espoir que la Guinée changera en mieux pour l’intérêt de tous ses enfants. Les multiples personnes qui sont tombées dans la lutte pour la démocratisation de notre pays ne seront pas mortes pour rien, j’en suis intimement convaincu. Les patriotes guinéens doivent se ressaisir pour sauver notre pays. Les jeunes ont de ce point de vue une importante mission.
Propos recueillis par Thierno Brel Barry, Genève-Suisse pour Guinéenews©