« La meilleure façon d’aider les jeunes, c’est de faire en sorte que la culture soit à leur disposition pour qu’ils puissent lire, s’instruire et qu’ils puissent élargir leurs connaissances » nous a confié Bah Oury
Pour connaitre son histoire, notre Rédaction est partie à sa rencontre
Votre parcours académique ?
Mon parcours académique, j’avoue que je dois beaucoup à mon père qui très tôt m’éloigna du village natal à l’âge de cinq ans pour le Sénégal afin que j’y étudie dans de meilleures conditions. Pour ceux qui ne le savent pas, je suis né à Pita. En 1964 mon père qui n’a jamais été à l’école m’a amené chez mes oncles au Sénégal. Nous résidions dans la ville de Diourbel où j’ai été à l’école primaire de la mission catholique. D’ailleurs la famille possède jusqu’à présent une concession dans cette ville berceau du mouridisme de Cheikh Ahmadou Bamba. C’est dans cet environnement multi –ethniques et pluriconfessionnels que j’ai grandi. J’ai grandi avec de jeunes amis qui étaient libanais maronites. A l’école nous fréquentions des camarades de classe de toutes les origines : des sérères, des ouolofs et des français. Ensuite à la fin du cycle primaire, j’étais admis pour fréquenter le lycée Faidherbe de saint Louis mais les conditions financières ne me permettaient pas de quitter Diourbel pour aller à Saint Louis où nous n’avions pas de parent pour pouvoir s’y installer. En plus à l’époque je n’avais que la nationalité guinéenne, et par conséquent je ne pouvais pas bénéficier de bourse pour être interne au lycée à Saint-Louis. J’ai étudié alors au Collège d’Enseignement Général de la ville de Diourbel. Ce n’est qu’après que je suis allé en seconde au lycée Van Vollenhoven de Dakar actuel lycée Lamine Guéye. Mon oncle maternel résidait à l’époque à Dakar , c’est pour cela qu’il m’a été plus aisé de m’y rendre et d’y étudier dans de meilleures dispositions. C’est ainsi qu’en 76 et 77 j’ai été plusieurs fois lauréat du concours général des lycées du Sénégal dans plusieurs disciplines (français, mathématiques, philosophie, sciences physiques et histoire).La mention Très Bien au Bac série math a couronné cette période studieuse. Ces résultats ont milité en ma faveur auprès du Président Senghor pour m’accorder la nationalité sénégalaise afin que je puisse m’inscrire aux classes préparatoires du Lycée Louis Le Grand de Paris en math sup et math spé pour préparer les concours aux grandes écoles scientifiques françaises. Je m’honore de faire partie d’une génération d’élèves du Sénégal brillants. Mes condisciples se retrouvent à des niveaux élevés de l’administration étatique. On y recrute un Premier Ministre, plusieurs ministres, un vice-président de la Banque Mondiale ……
Parlez-nous de la suite ?
Au bout de trois ans je devais faire l’école des travaux publics de l’état de Lyon mais à l’époque être ingénieur ne m’intéressait guère. je voulais être enseignant-chercheur et je visais les écoles normales ( Ulm, Saint-Cloud et l’Enset). C’est ainsi que je m’orienta vers l’Université Pierre et Marie Curie pour y faire des mathématiques tout en préparant l’agrégation de mathématiques. J’avoue que le « virus politique » m’avait déjà pris dés cette époque. Avec de jeunes compatriotes nous envisagions de rassembler les guinéens de France pour essayer d’organiser la solidarité en faveur de ceux qui venaient du pays et qui n’avaient pas de soutien. En plus nous organisions des campagnes de sensibilisation de l’opinion internationale sur les violations des droits de l’homme récurrentes dans la Guinée sous la férule de Sékou Touré. Tout en poursuivant mes études à l’Université Pierre et Marie Curie, jusqu’au niveau du DEA d’Analyse fonctionnelle de mathématiques, j’enseignais en même temps dans le secondaire dans les périphéries de Versailles.
Quand êtes-vous rentré en Guinée ?
Je suis rentré définitivement en décembre 1986 en guinée. Toutefois mon premier retour dans le pays natal fut en juillet 1984. Je m’étais décidé de revenir pour rester dés le lendemain du 3 avril 1984. La première action dés le début de l’année 1987 a été la création d’une ONG avec des amis guinéens comme Alfa Oumar BARRY (Alfadio dit Mbappa), Irena Brezna une romancière suisse et d’autres pour créer une bibliothèque à Mamou. Ce choix était dicté par le désir de rendre hommage à cette ville, terre de rencontre de cultures diverses, berceau d’un métissage de toutes les communautés guinéennes et centre intellectuel et politique historiquement fécond. Grâce à Irena, le canton de Bâle accorda une subvention d’environ 20.000 CH et des dons de livres scolaires importants ainsi que des livres de la littérature mondiale. Les livres furent stockés dans la préfecture de la ville ainsi qu’une partie du mobilier en attendant l’affection d’un bâtiment plus approprié. Hélas une nuit, une forte tornade décoiffa la résidence préfectorale et noya les livres sous une pluie diluvienne. L’idée était noble mais nous n’avions pas en ce moment les reins suffisamment solides pour mener le projet à bon port. Les premiers neuf mois en Guinée étaient exclusivement consacrés à faire vivre l’idée de la création de la bibliothèque de Mamou. Amoureux des livres dés ma prime enfance, je considère que la meilleure façon d’aider, c’est de permettre que la culture soit à la disposition des jeunes pour qu’ils puissent lire, s’instruire et qu’ils puisent élargir leurs connaissances. Un jour d’août 87, un ami m’insiste à me présenter à un concours de recrutement dans une banque de la place….c’est ainsi que ma vie professionnelle a pris un autre cours où vingt années durant j’ai acquis des compétences dans différents métiers de la banque. Suite à ma nomination de représentant de l’UFDG comme ministre de la réconciliation nationale de la solidarité et des relations avec les institutions en juin 2008 dans le gouvernement d’Ahmed Tidiane SOUARE, je me suis éloigné de la profession bancaire.
Vos débuts en politique ?
J’ai commencé la politique de manière active lorsque j’étais étudiant à Paris, dans les années 1979-1980. A peine âgé de vingt ans je me suis senti interpellé par la situation dramatique de mon pays natal. C’est dans ce contexte qu’avec des jeunes guinéens plus âgés que moi, sommes retrouvés. Cette introduction dans les milieux guinéens de Paris a été facilitée par Thierno Monènembo qui venait juste de publier son premier livre les Crapauds brousses. Je l’ai rencontré pour la première fois à la Bibliothèque Georges Pompidou où se déroulait le Salon des livres. C’est dans ambiance de la découverte de la communauté guinéenne de France que j’ai connue des compatriotes comme Lamarana Diallo dit wadji, Lamine Faye un avocat, Bana Sidibé qui deviendra plus tard ministre de l’urbanisme, Ibrahima Bangoura de l’UFR, Ablo actuellement chef d’entreprise à Conakry, Ousmane Kaba de l’université Koffi Annan, Abraham Bouré , Thierno Barry dit Américain, Pascal Faber etc…. Je ne peux pas citer tout le monde. C’est ce groupe qui lança la création d’une nouvelle organisation pour rassembler les jeunes guinéens étudiants et travailleurs en France sur les ruines de l’Association des Etudiants Guinéens en France ( AEGF de la FEANF) qui sombrait dans une crise fratricide. Au lendemain du séjour de Sékou TOURE en France en 1982, nous lancions la création de l’AJGF (association des jeunes guinéens en France). Nous étions parmi ceux qui avaient appelé à manifester pour protester contre la violation systématique des droits de l’homme dans notre pays et furent parmi ceux qui furent interpellés par la police parisienne.
En 1983 j’ai créé avec quelques amis un journal dénommé le Réveil Africain que j’ai fait vivre avec mes économies d’enseignant pendant pratiquement un an et demi. C’était un moyen de faire la politique autrement. La disparition de Sékou Touré, le 26 mars 1984 me décida de rentrer en guinée. J’ai préparé en un an et demi mon retour définitif et je suis rentré définitivement en décembre 1986 en guinée. Ma démarche était claire dans mon esprit. J’avais la ferme conviction que le retour était l’option qui était la plus conséquente pour conforter mon engagement civique. C’est à Conakry en janvier 1987 que je terminais la rédaction d’un pamphlet intitulé « la Guinée autrement » exposant les grandes lignes du projet démocratique que je défends. L’option privilégiée en ce moment est la création d’un mouvement de défense des droits de l’homme afin d’assurer l’émergence de structures de la société civile pour protéger les citoyens des dérives potentielles des gouvernances encore marquées par l’autoritarisme et la négation des fondements de l’Etat de droit. Le cercle des proches et amis de feu Thierno Maadjou SOW de l’OGDH a joué à cet effet un rôle décisif. A titre personnel ,je lui dois beaucoup, car il m’a permis de connaître une société guinéenne post- Parti Etat avec ses forces et ses faiblesses.
Les années 1988-1990 ont été le début de l’action pour que cette organisation s’érige comme une organisation internationalement reconnue pour la défense des droits de l’homme en guinée. Notre action au sein de l’OGDH avait aussi contribué à l’émergence au sein du campus de Gamal Abdel Nasser de Conakry et de Julius Nyerere de Kankan de forces estudiantines contestataires et précurseurs des revendications démocratiques plus larges.
Que pouvons-nous retenir de la création de UFDG?
L’Union des Forces Démocratiques de Guinée (UFDG en abrégé) a été créé dans la clandestinité. Elle a été en 1988 l’une des rares organisations politiques agissant dans l’ombre. Nous utilisions comme d’expression les interpellations publiques sous forme de tracts. Nous n’étions pas les seuls dans cette démarche politique.
Le président Alpha Condé et ses collaborateurs aussi avaient leur organisation clandestine parce qu’il n’y avait pas de partis politiques. Au mois de septembre 1991 des partis comme l’UFP (Union des Forces Patriotiques) de BadiKo et Dr Sow de Yaoundé, le PUR (Parti de l’Unité et la Renaissance) de Dr Bakary Diakité et de Alfa Sow qui résidaient en France et une ONG FODEG animée par Sadio BAH, Boubacar Doumba Diallo, Alpha Kabiné Kaba, El hadj Touré d’Air Afrique et le Professeur des statistiques qui étaient tous en Côte-d’Ivoire et l’UFDG dont les principaux animateurs étaient El hadjj Abdoul Diallo et moi-même avons fusionné les différentes structures pour donner naissance à l’UFD (Union des Forces Démocratiques de Guinée ). J’en fus le premier responsable avec le titre de secrétaire général. La légalisation des partis en avril 1992 , mon arrestation avec le prétexte d’avoir organisé une tentative d’assassinat en octobre 1992 du Général L. Conté , les émeutes populaires qui ont exigé ma libération après trois jours d’interpellation et « l’exil intérieur » à Kamsar pendant trois ans avaient aiguisé les querelles de leadership au sein de la jeune formation politique. En août 1997 , un congrès extraordinaire de l’UFD fut convoqué et au cours duquel la majorité procède au changement du sigle du parti pour l’UFDG.
Les moments pénibles de votre parcours ?
Oui il faut le reconnaitre qu’il a eu des hauts et bas dans ma vie.
La première fois, c’était au Sénégal à Diourbel, je n’ai pas pu me rendre à saint louis au Lycée Faidherbe. Par la suite en Terminale au lycée Van vollenhoven de Dakar je craignais de ne pas poursuivre les études supérieures en France, puisqu’il n’ y avait aucune possibilité d’obtenir une bourse sans au préalable disposer de la nationalité sénégalaise. In extremis , le Président Senghor vint à mon secours en m’accordant le sésame qui me permit d’aller en Math sup à Louis Le Grand.
En Guinée entre 93 et 95 j’ai été marqué par la férocité des agressions à mon égard par ceux là qui étaient dans la même formation politique que moi. J’ai fait l’expérience du dur apprentissage du combat politique où certains n’hésitent pas à user de tous les stratagèmes pour parvenir à leurs fins. J’ai alors compris, comment dans une société encore imprégnée de la culture du mensonge, il était possible d’éliminer n’importe qui en s’attaquant à sa réputation pour le dénigrer à l’aide de fausses rumeurs. A titre d’illustration en 93, il était dit que mon arrestation en octobre 92 n’était qu’un deal pour me permettre de rencontrer le Général Lansana Conté et recevoir 50 millions de FG. La mise en disponibilité pour un an (août 92) que j’avais prise pour m’occuper de l’UFD fut prolongée malgré moi jusqu’en janvier 94. Ceux qui avaient encouragé cette initiative, manquèrent à leurs obligations durant la période d’épreuve. Il a fallu l’implication d’Ibrahima Fofana (paix à on âme) et Mariama Penda Diallo qui réussirent à négocier ma reprise professionnelle assortie d’un éloignement de Conakry. Bref l’essentiel était de tourner la page de cette période d’épreuves.
En 2011, j’ai failli perdre ma vie. C’est Dieu qui m’a sauvé et m’a aidé pour cette période d’exil de quatre années et demi. Le plus dur à supporter n’était pas l’éloignement. C’était surtout le fait de découvrir a trahison et le cynisme avec lesquels ceux qui étaient des « amis politiques » ont planifié mon élimination aussi bien politique que physique. Au lieu de soutenir les embastillés et les exilés ils ont plus tôt tout tenter pour les enfoncer et de les salir afin de masquer leur propre forfaiture. Ceux qui auraient dû me soutenir et ceux qui m’ont le plus combattu. Avec une famille de cinq gosses en France, j’avoue que la vie n’a pas été facile. Le courage de mon épouse nous a aidé à rester dignes. D’autres ont eu sans aucun doute la vie plus dure. D’autres ont terriblement souffert dans leur chair et privés de leur liberté. Par la grâce de Dieu, alors que peu de personnes pariaient sur le retour d’exil de BAH Oury avec Alpha CONDE au pouvoir, aujourd’hui c’est devenu une réalité. Mécontents… ils ont tenté de m’assassiner et ils ont tué le journaliste Mohamed Koula DIALLO le 05 février 2016.
Dites-nous comment arrivez-vous souvent à réussir dans vos combats, en un mot votre petit secret ?
Il faut d’abord croire en soi même. il y a beaucoup de chose qui interviennent dans la vie de quelqu’un, il y a des coups de pouce de Dieu aussi. A examiner mon itinéraire j’aurais pu perdre la vie trois à quatre fois de suite, mais je suis encore là, vivant et debout. On suit son chemin et le reste est entre les mains de Dieu. Il faut croire à ce que nous faisons, et travailler des la manière la plus désintéressée possible. Je fais ce que j’estime être mon devoir aujourd’hui, je ne sais pas jusqu’où cela m’amènera mais je suis prêt à assumer tout ce qui entre en ligne de compte dans le cadre de la défense de mes ultimes convictions.
Vous êtes un modèle et d’autres jeunes veulent être comme vous, un conseil pour eux ?
Merci pour l’estime à ma personne. Il serait un grand dommage, si les jeunes générations répètent les expériences de leurs ainés. Nos expériences ,bonnes ou mauvaises doivent être seulement des sources d’inspiration. Le monde change, il faut chercher à progresser c’est-à-dire tirer les leçons du passé de manière objective pour envisager le présent et le futur. C’est ainsi que pourrons émerger des sociétés de progrès et de modernité. Nos expériences doivent vous servir pour que vous pussiez éviter les écueils qui se dressent devant votre chemin.
Aujourd’hui il y a des grandes formations politiques qui existent au lieu de penser à créer d’autres partis politiques, il faut les investir et les transformer. Il faut se battre et faire prévaloir ses idées. Mais si vous devez refaire ce que nous avons fait en 30ans ça serait un perpétuel recommencement. C’est pour cela aujourd’hui dans mon entourage je pousse les jeunes, non pas à créer un parti mais à se battre pour être les prochains Maires des différentes communes de ce pays. Il faut qu’ils bénéficient de ce que nous avons fait de notre expérience pour qu’ils puissent être des personnes qui prennent le flambeau. On doit apprendre de nos insuffisances et nos erreurs, c’est ça qui est fondamental. C’est pour cela je dis une fois encore que je veux former une élite qui ira plus loin que moi. C’est le chemin que suis en train de poursuivre.
Votre point de vue sur la situation générale actuelle de notre pays ?
La guinée est dans un tournant majeur extrêmement important. Lorsqu’on regarde le spectacle d’une image, on voit l’état de nos routes, on voit que la situation est très difficile pour la grande majorité des familles. Je comprends la désespérance de beaucoup de jeunes, qui se sentent abandonnés et perdus. Je constate avec une profonde amertume qu’ils sont prêts de partir quelles que soit les voies ; même à aller mourir dans la méditerranée ou dans le Sahara ou pour d’autres être réduis à l’esclavage. Cette triste réalité est le quotidien de plusieurs familles guinéennes. Toutefois, les choses dans notre pays sont entrain de basculer, il y a un monde qui est en train de finir, il y a un autre qui commence. Nous sommes dans le creux de cette période et c’est la raison pour laquelle il faut se battre et croire que ce pays va se relever. Il y a des générations qui ont été traumatisées par l’ancien régime ; ils ont été d’une manière ou d’une autre corrompue par une gouvernance au temps du PUP. Donc l’espoir repose sur la génération née dans les années 80 qui a affronté les balles pour qu’il y ait un processus démocratique dans ce pays, qui est connectée au monde et qui est exigeante. Elle est plus que quiconque désireuse de voir la Guinée avancer et qui s’interroge à juste titre sur son devenir et son avenir. Elle doit prendre son destin entre ses mains. La Guinée peut changer, l’espoir est permis. Il ne faut pas baisser les bras et ayons confiance en l’avenir de notre pays.
Je vous remercie !
D’après une interview revue de Jean Tiby SANGARE
Du site www.modelereussite.com