Propos recueillis le 02 octobre 2012
Guinée58 : Bonjour Monsieur BAH, nous vous remercions de vous prêter aux questions de www.guinee58.com. Vous avez été invité ce weekend à Paris par la société civile des Guinéens vivants en France pour présider la commémoration du 3éme triste anniversaire des événements du 28 septembre 2009 en tant que témoin mais surtout victime. Dans quel état d’esprit avez-vous présidé ce triste anniversaire ? Comment comptez-vous vous prendre pour faire avancer ce dossier sur le plan judiciaire ?
BAH Oury : C’est avec plaisir que j’ai répondu à l’invitation des associations de la société civile guinéenne en France pour commémorer le troisième anniversaire du massacre du 28 septembre 2009. C’est aussi avec une grande peine et une profonde colère que nous célébrons cette tragédie.
D’abord trois années après ce drame qui a horrifié le monde entier, notre pays n’a pas évolué positivement dans l’affirmation des droits de l’homme et du citoyen. Malgré les recommandations pertinentes de la Commission d’Enquête Internationale des Nations Unies, la justice de réparation et de compensation n’a pas vu le jour. Les victimes sont encore devenues doublement victimes. Les femmes qui ont été violées au stade du 28 septembre pour la plus part vivent leur calvaire dans la solitude et le déchirement. Des familles, qui ont perdu du jour au lendemain soit le chef de famille ou une fille ou un fils sont jetées dans la mendicité. Autant de misères et de malheurs que la puissance publique en l’occurrence l’Etat guinéen devrait atténuer dans le cadre d’une juste réparation. Mais hélas, pour l’instant c’est l’indifférence qui prévaut dans la gestion de ce dossier.
Pis encore, les autorités guinéennes usent encore de la violence pour réprimer toute contestation de leur pouvoir absolu. Le massacre des paysans de Zogota dans la nuit du 3 au 4 août 2012 indique que des récidives de massacres de masse sont possibles. La gouvernance d’Alpha Condé a montré son goût pour l’utilisation de manière systématique de la violence en lieu et place de la nécessaire recherche de consensus national. Les rixes qui ont éclaté le 21 septembre au lendemain d’une grandiose manifestation pacifique à Conakry sont des signaux précurseurs de tragédies planifiées par le pouvoir à court terme pour faire taire toutes les oppositions. Donc un régime liberticide ne fera pas la lumière sur les événements du 28 septembre 2009 car il risque de se condamner. Ce qui importe le plus aujourd’hui est de témoigner fortement pour empêcher la récidive. Nous avons un devoir de vigilance pour empêcher une réédition plus massive du massacre du 28 septembre 2009. Les dangers qui planent au-dessus de la Guinée indiquent que le pire n’est pas loin.
Guinee58 : Pour revenir aux sujets brûlants de l’actualité politique, l’opposition réunie au sein du collectif et de l’ADP est à couteau tiré avec les centristes notamment le club des Républicains animés par JM DORE, Kassory FOFANA et le FDP avec comme tête de file Mamadou Bah Bâadiko à propos des 10 représentants accordés à l’opposition dans la nouvelle configuration de la CENI. Quelle est votre réaction ?
BAH Oury : De manière globale, la question de la représentativité des partis politiques a toujours été le point d’achoppement au sein de la classe politique. Malgré cela en 2006 nous avions pu définir la quote-part de chaque formation politique pour le financement public des partis. Des critères prenant en compte le poids électoral (pourcentage obtenu lors des précédentes consultations électorales) le nombre d’élus (députés, conseillers communaux et ruraux) avaient permis de fixer un barème accepté par tous. L’UFDG qui n’avait participé qu’aux élections communales de 2005 s’était retrouvé pénalisée.
En l’absence d’élections législatives qui auraient pu partager la classe politique entre la mouvance présidentielle et l’opposition, le positionnement actuel des partis est à géométrie variable au gré des humeurs de leurs chefs. Toutefois, depuis le 27 août 2012 avec la démission du gouvernement de ses deux ministres, le PEDN est ainsi de plain-pied dans l’opposition. De notoriété publique l’ADP et le Collectif cristallisent l’opposition au régime d’Alpha CONDE. Ceux qui se définissent eux-mêmes comme étant centristes en l’absence d’une représentation parlementaire se sont exclus d’une représentation à la CENI car la loi n’évoque que deux entités : la mouvance et l’opposition.
Guinée58: Cette représentativité concerne également l’UFDG dont vous êtes membre fondateur et le 1er vice-président. Gandhi BARRY, un observateur averti de la vie politique guinéenne a fait une analyse dans laquelle il estime que le poids électoral de l’UFDG lui confère de facto au moins six représentants parmi les dix représentants de l’opposition. D’autres voix au sein de l’UFDG réclament non seulement ces six commissaires mais également la vice-présidence de la CENI. Partagez-vous cette analyse de Monsieur BARRY et ces positions au sein de votre parti ?
BAH Oury : En ce qui concerne le nombre de commissaires représentant les entités politiques, l’esprit de la loi fait référence à une « composition paritaire » .Ainsi ce nombre doit être en adéquation avec le poids électoral de chaque formation politique. Dans ce contexte l’UFDG, l’UFR, le PEDN, la NGR devraient se partager proportionnellement à leur poids lors des élections présidentielles du 1er tour de 2010 les 10 représentants de la CENI. Ainsi l’UFDG pourrait prétendre à au moins 5 commissaires comme le montre la pertinente analyse développée par Haroun Ghandhi BARRY.
Guinee58 : Avec moins de six représentants et la vice-présidence de la CENI, la Direction de l’UFDG devra-t-elle rendre des comptes à sa base ?
BAH Oury : Comme je viens de l’indiquer malgré les élections iniques d’avant 2006, l’UFDG avait accepté des critères peu ou prou objectifs pour le partage du budget alloué aux financements publics des partis politiques. Il devrait en être de même aujourd’hui pour le nombre des commissaires de la CENI. Mais je ne me fais aucune illusion pour cette répartition du nombre des commissaires car la Direction de l’UFDG n’a pas su capitaliser les 44% acquis au premier tour des présidentielles. Le capital de l’UFDG s’est envolé le 15 novembre 2011 lors de la rencontre des leaders politiques avec Alpha Condé. En effet la « banalisation du Président de l’UFDG » en le recevant parmi plus d’une dizaine de présidents ou de secrétaires généraux de partis de toutes obédiences et ensuite l’irruption au-devant de la scène médiatique de Jean Marie DORE pour faire le compte-rendu au perron du Palais Présidentiel comme porte-parole de tous les invités étaient des manœuvres savamment étudiées pour « dégrader » le challenger d’Alpha CONDE et d’effacer ainsi en ce jour symbolique les 44 % de l’UFDG acquises de haute lutte.
En tout état de cause, l’UFDG est en droit de réclamer sa juste représentation au niveau des institutions du pays.
Guinee58 : Qu’est que cette question de représentativité de l’UFDG à la CENI vous rappelle-t-elle ?
BAH Oury :Depuis le 18 septembre 2004 où le doyen BA Mamadou devant plus d’un millier de militants de l’UFDG a engagé au nom de l’UFDG la marche pour réclamer la libéralisation des ondes en Guinée ,l’UFDG a toujours affirmé de manière incontestable son leadership dans le combat pour la démocratie, la liberté et le progrès du peuple guinéen. Nous avons payé et nous continuons de payer un lourd tribut pour que notre pays change en mieux. ..Vous avez raison, les sacrifices consentis par l’UFDG ne sont pas récompensés en retour jusqu’à présent. L’UFDG a été le fer de lance des Forces Vives, ce qui m’a valu d’être à la fois le Président de la Commission Politique et aussi le Président de la commission d’organisation de la manifestation du 28 septembre 2009. Tant que le combat était incertain, l’UFDG était courtisée. Les choses ont changé après l’attentat contre Dadis CAMARA le 03 décembre 2009. A partir de ce moment la dynamique de marginalisation de l’UFDG au sein des Forces Vives commence par l’éloignement de BAH Oury. C’est ainsi que certains état-majors concoctent le changement de la direction des Forces Vives avec Loucény FALL. Le choix du Premier Ministre de la transition et la composition du gouvernement d’union nationale de transition se sont fait en ignorant le poids de l’UFDG et les sacrifices innombrables de ses militants. De là découlent les difficultés et les ratés du processus de transition. Pour éviter de répéter les mêmes erreurs que lors de la période électorale des présidentielles, l’UFDG doit être valablement représentée.
Guinee58 : S’agissant toujours de la recomposition de la CENI, Alpha CONDE a apporté un soutien indéfectible à Bakary FOFANA pour assurer sa présidence malgré l’opacité qui entoure sa désignation et la contestation de la base de la société civile ?
BAH Oury : La société civile guinéenne est instrumentalisée depuis longtemps par Alpha CONDE. Bakary FOFANA a depuis toujours rendu d’éminents services ayant favorisé l’accession d’Alpha CONDE au pouvoir. En le soutenant au vu et au su de tout le monde comme son candidat, Alpha CONDE a montré que Bakary FOFANA ne présente pas l’honorabilité et la neutralité indispensables pour être commissaire et à plus forte raison être le Président de la CENI.
Dans les accords d’Ouagadougou, il était spécifié que les membres du gouvernement de transition ne devraient pas être candidat à des postes électifs durant toute la transition.
L’affirmation publique du soutien présidentiel à Bakary FOFANA est une atteinte à l’indépendance et à la crédibilité de l’institution chargée de gérer les élections. Il est donc aujourd’hui loisible aussi de rejeter catégoriquement le candidat du pouvoir pour proposer un issu de l’opposition et dont la moralité est au-dessus de tout soupçon. Bakary FOFANA doit être récusé comme commissaire, car Alpha CONDE a montré qu’il ne peut pas être impartial, neutre et ni libre.
Guinée58 : Pour aborder votre cas personnel, comment vivez-vous très éloigné du pays, tous les soubresauts de la vie politique guinéenne émaillés de morts et d’arrestations arbitraires des militants de l’UFDG ?
BAH Oury : Physiquement je vis loin de la Guinée, mais toutes mes pensées se rapportent à notre cher pays qui souffre le martyr. Les arrestations arbitraires, les morts, les détentions extrajudiciaires et l’injustice que subissent des femmes et des hommes me confortent dans ma conviction de ne pas baisser les bras.
J’appartiens à la génération qui est née avec l’indépendance du pays, qui a grandi avec la dictature de Sékou Touré marquée par les camps de concentrations, les pendaisons publiques, les exils forcés et les discriminations ethniques. De là, l’origine de mon engagement pour les droits de l’homme et pour le combat démocratique. De l’âge de 19 ans à maintenant je reste un farouche partisan de la liberté et un adversaire résolu de toutes formes d’injustices qu’elles soient ethniques, sociales ou religieuses .Mon engagement pour les droits de l’homme m’a amené à être parmi les fondateurs de l’OGDH au début de l’année 1990. Dans un pays marqué par la violence politique et des exactions de vastes ampleurs contre les citoyens, ce combat reste d’actualité et trace la ligne de démarcation entre les démocrates et les non démocrates. Il ne s’agit pas d’être affublé du statut d’opposant pour être pour autant un démocrate. Alpha CONDE est un illustre exemple de cette méprise.
Guinée58: Notre site www.guinee58.com vient de changer de design. Comment trouvez-vous notre nouvelle ergonomie ?
BAH Oury : Le site www.guinee58.com progresse tant sur l’ergonomie que sur le contenu et l’orientation éditoriale. La création d’un club de la presse Guinée58 et l’élargissement de l’audience attestent d’un impact de plus en plus large sur l’opinion guinéenne et internationale. Vous êtes dans la bonne direction. Bon vent à Guinée58 !
Guinée58 : Nous vous remercions une fois de plus d’avoir accepté notre invitation.
BAH Oury : C’est moi qui vous remercie !