En marge de la conférence à l’ ULB BAH Oury s’entretient avec GN

 

En marge de la grande conférence sur la situation socioéconomique de la Guinée que le vice-président de l’UFDG, monsieur Bah Oury a tenu ce samedi 5 avril à Bruxelles, votre quotidien en ligne Guinéenews a rencontré le conférencier pour aborder les questions brûlantes de l’actualité guinéenne.

1.     Guinéenews© : Vous avez tenu hier samedi à Bruxelles, une conférence sur la problématique socioéconomique de la Guinée, ses enjeux et ses perspectives. Quelle a été votre impression et pourquoi l’économie plus tôt que la politique ?

Bah Oury : C’est avec un grand plaisir que j’ai répondu à l’invitation du Cercle des Etudiants Guinéens de l’Université Libre de Bruxelles (ULB) pour exposer la situation économique de ces cinq dernières décennies de notre pays. En plus j’ai noté avec une grande satisfaction la présence massive de la communauté guinéenne lors de la conférence.

Vous savez l’économie est traitée en parent pauvre du débat politique guinéen. Or elle est l’expression de la réalité de la collectivité nationale. A travers elle, nous lisons nos forces, nos faiblesses, nos atouts et nos handicaps. Un examen minutieux de ses agrégats permet d’explorer les champs du futur. Aujourd’hui pour un dirigeant politique, ignorer la science économique c’est gouverner à l’aveuglette. Il est indispensable de corriger ces lacunes pour hisser le citoyen guinéen tel, qu’il soit à même de comprendre le monde qui l’environne afin d’agir avec objectivité et efficacité pour transformer notre pays en mieux.

Il n’y a pas antinomie entre économie et politique. La politique sans une perception aigue de la réalité économique n’est que démagogie et « mamaya » stérile et avilissante. J’estime qu’il est temps de faire la politique autrement en Guinée.

 

2.     Guinéenews© : L’ancien ministre sénégalais de l’intérieur, général Lamine Cissé, considéré par la mouvance comme médiateur international dans la crise politique guinéenne mais récusé par l’opposition, a finalement jeté l’éponge. Le Secrétaire Général des Nations Unies a finalement désigné M. Said Jinit son représentant pour l’Afrique de l’Ouest. Avez-vous l’impression que la communauté internationale a entendu votre appel?

 

Bah Oury :La dissolution du groupe international de contact pour la Guinée au lendemain des élections présidentielles de 2010, voulu par Alpha Condé, a été une grave erreur. Ceci a contribué à donner carte blanche au nouveau pouvoir pour gérer le pays à sa guise sans aucune interférence extérieure. Le résultat est calamiteux. Recours systématique à la violence politique, violations répétées des droits de l’homme, négation de la constitution et des lois, exacerbation des tensions communautaires et ethniques et développement de l’affairisme des cercles dirigeants sont les traits marquants de seulement deux années de pouvoir d’Alpha Condé. L’opinion nationale s’est inquiétée de la dérive dictatoriale et la communauté internationale en terme plus diplomatique observe l’évolution du régime guinéen avec prudence et scepticisme. Le crédo onusien est « la conservation de la stabilité »  de ce fait les guinéens ne doivent pas se faire des illusions. La communauté internationale ne s’intéresse que peu aux conflits de basse intensité. La désignation de M. Saïd Jinit est un pas positif mais malheureusement  sans grand effet sur la crise guinéenne. D’ailleurs certaines puissances considèrent la Guinée comme un Etat stable et par conséquent pour elles, il n’y a pas péril en la demeure. Or, c’est ainsi que la Mali d’ATT était jugé voilà à peine 18 mois. Heureusement que nos compatriotes savent à juste titre que le combat pour la démocratie et la liberté sera leur œuvre  ou il ne sera pas.

3.     Guinéenews© : Il  y a quelques jours, Cellou Dalein, Lansana Kouyaté et Sydia Touré ont tous rencontré le chef de l’Etat Alpha Condé. Peut-on dire que ce dernier a entamé maintenant un diadoque «sincère» très souvent réclamé par l’opposition ?

 

Bah Oury : J’ai toujours considéré que le gouvernement guinéen fait du cinéma en parlant de dialogue et de rencontre avec les responsables politiques de l’opposition. Ces derniers se comportent bizarrement face à Alpha Condé. On a l’impression qu’ils font acte d’allégeance au pouvoir alors que celui-ci les méprisent royalement. Si ce n’était que cela, la gravité serait moindre. Comment justifier cette parodie de dialogue à la queue leu leu au Palais présidentiel alors que des militants de l’opposition croupissent injustement en prison, que le deuil que portent les familles des 9 manifestants tués le 27 février 2013 n’est pas achevé ,que les propriétaires des magasins incendiés à Madina ne sont pas indemnisés et que le pouvoir n’a manifestement pas donné aucun signe tangible d’apaisement. Alpha Condé mène son jeu avec constance et l’opposition politique navigue sans boussole. C’est une réalité déconcertante et malheureuse au regard de la mobilisation et des sacrifices que la population guinéenne a consenti pendant ces deux années de calvaire.

 

4.     Guinéenews© : Le 27 février 2013, la manifestation de l’opposition a été réprimée avec un bilan très lourd, 9 morts dont un policier. Quelles dispositions concrètes prend l’opposition qualifiée de «radicale» pour préserver la vie des citoyens lors de manifestation qu’elle organise ?

Bah Oury : Les responsables de l’opposition qui ont lancé l’appel à manifester sont mieux indiqués pour répondre à cette question cruciale. En ce qui me concerne, j’ai indiqué aux instances de l’UFDG, au lendemain de l’élection présidentielle que les manifestations de rue ne devraient être que l’ultime recours face à un pouvoir naturellement porté à la violence. Par conséquent, il est impérieux d’être en tout temps en mesure d’assurer la protection des manifestants et de la sauvegarde de leurs biens. C’est un acte de responsabilité et d’humanité. Ne pas le faire c’est considérer les militants comme de vulgaires chairs à canon.

5.     Guinéenews©: Qu’a fait l’opposition pour les victimes et leurs familles, les détenus et les citoyens qui ont perdu leurs biens lors de cette manifestation ?

Bah Oury : Je sais que les militants de l’UFDG à travers le monde ont exprimé leur solidarité à l’égard des victimes en collectant par-ci par-là des moyens pour leur venir en aide. Certes, c’est une goutte d’eau par rapport à l’énormité des besoins.

A mes yeux, l’Etat guinéen est responsable de cette dramatique situation. Comme je l’avais engagé en octobre 2008, comme Ministre de la Réconciliation Nationale, des mesures de réparation et de compensation constituent une obligation pour l’Etat guinéen à double titre : d’abord au compte de la solidarité nationale mais aussi parce que peu ou prou les autorités guinéennes sont directement responsables de ce carnage et de cette tuerie. Les forces de l’ordre « aux ordres » ont tiré sur les manifestants à balles réelles et ont supervisé l’incendie des magasins à Madina alors que leur mission régalienne est de protéger sans aucune discrimination  les citoyens et leurs biens.

L’opposition doit soutenir et accompagner toutes les victimes pour que justice soit faite et que les torts soient réparés.

 

6.     Guinéenews© : Cette crise perdure depuis près de deux ans et demi, l’opposition et le pouvoir mesurent-ils vraiment la déception de la population face à cette situation où on va de blocage en blocage ?

Bah Oury : La gouvernance d’Alpha Condé est pleinement responsable de ce blocage. Elle a sacrifié les intérêts nationaux pour tenter de s’accaparer de tous les pouvoirs dans le pays. C’est ainsi que la pauvreté et la misère se sont largement étendues. Si 52% de la population en 2007 était considérée comme pauvre, cette proportion est en 2012 de 55%. Les guinéens n’en peuvent plus. 15% des foyers guinéens sont incapables de subvenir à leurs besoins essentiels. Une ville comme Fria symbole de l’irresponsabilité et de l’affairisme des autorités guinéennes meurt lentement sans aucune mesure significative pour stopper le déclin.

La faute de l’opposition est d’avoir concentré son action sur des aspects périphériques liés essentiellement au processus électoral. Elle a négligé le quotidien du guinéen lamda. Elle a ignoré la question fondamentale des droits de l’homme. Elle s’est rendue complice par sa passivité de la violation répétée de la constitution. Elle est restée inaudible devant l’exacerbation des clivages communautaires et ethniques dans le pays. Elle s’est laissée « rouler dans la farine » par Alpha Condé. Tout cela a amené de larges franges de la population à se sentir abandonnée.

7.     Guinéenews©: Parlant du procès dans l’affaire du 19 juillet 2011, le commissaire Boubacar Fabou Camara vous a cité dans le dossier et dit avoir des preuves irréfutables contre vous, d’ailleurs le procureur Williams Fernandez vous a cité plusieurs fois.  Que répondez-vous face à ces accusations ?

 

Bah Oury : Le commissaire Fabou, s’est ridiculisé devant la cour d’assises de Conakry lorsqu’il a livré ses « preuves irréfutables » contre ma personne. Mais que peut-on attendre d’une justice aux ordres ? Alpha Condé a désigné les coupables depuis septembre 2011 en considérant Tibou Kamara, Diallo Sadakadji et moi-même comme les instigateurs de cette «affaire du 19 juillet 2011 ».

Cette affaire est une vaste machination pour neutraliser quatre cibles :

-des officiers et de militaires jugés suspects pour la stabilité du régime,

-les jeunes leaders de l’UFDG, de l’axe de la liberté à savoir « Hamdallaye – Bambeto – Cosa_ Cimenterie »

-des commerçants jugés indociles

-l’UFDG en incriminant son 1er Vice-Président.

La vie de la Guinée a été rythmée depuis l’indépendance par des purges sanglantes et des parodies de jugement des agents de la « cinquième colonne » c’est-à-dire l’ennemi de l’intérieur. M. Alpha Condé a été victime de ce type de machination en décembre 1998 et il a promis de renouer avec le « complot permanent » en ramenant la Guinée là où Sékou Touré l’avait laissée. C’est ce programme qui se déroule actuellement à Conakry.

 

8.   Guinéenews©: Quelle sortie de crise pour éviter à la Guinée ce qui est arrivé à certains pays voisins ?

 

Bah Oury : La crise s’est intensifiée, avec la convocation du corps électoral le 30 juin 2013 pour l’organisation des législatives. Une période d’incertitude s’ouvre. Comme il fallait s’y attendre la parodie de dialogue n’a rien donné. Deux années d’atermoiements, de manifestations, des dizaines de morts, des centaines de blessés et des milliers d’incarcérés n’ont pas infléchi l’attitude des autorités guinéennes.

Dans ce contexte où le pouvoir n’a jamais fait preuve d’une volonté minimale de respecter la constitution ni de privilégier l’intérêt national, la sortie de crise ne sera pas sans douleur. A la lumière de l’histoire récente de la Guinée, restaurer l’autorité de la loi et rétablir la confiance des guinéens  en leurs institutions passent par le départ d’Alpha Condé.

Son départ est une nécessité pour éviter à la Guinée un avenir de tourmente et de désordre. Sa gouvernance   a cristallisée autour d’elle tous les conservatismes et les immobilismes de la société guinéenne post-indépendante : les nostalgiques de l’autoritarisme du premier régime, les bénéficiaires du système prédateur de l’ère Conté et les tenants d’un ethnocentrisme militant de la coordination du mandingue. Cette réalité sociologique est soutenue par un dispositif sécuritaire agressif et violent notamment la milice ethnique des donzos. Ainsi la poursuite de cette logique pour l’accaparation d’un pouvoir totalitaire ne pourra qu’engendrer un déferlement de violence sans fin en Guinée. C’est pour sauver la Guinée, que je milite pour le départ d’Alpha Condé.

9.     Guinéenews©: L’ex-chef de la junte du CNDD vient de participer aux obsèques de sa maman à Nzérékoré , qu’est –ce –que vous en dites ?

Bah Oury : J’estime qu’il a obtenu un rare privilège pour se recueillir auprès de sa mère pour entamer le deuil. Il est normal de lui présenter les condoléances pour le repos de l’âme de cette dame centenaire. Mais j’attendais de la part du Capitaine Dadis Camara, qui se retrouve en terre guinéenne pour la première fois après trois années d’exil, un acte de repentance par rapport à la tragédie du 28 septembre 2009. Mais je n’ai rien entendu allant dans ce sens. Une belle occasion pour permettre aux nombreuses familles guinéennes traumatisées et meurtries d’avoir un peu de réconfort, est ainsi perdue. La nécessité de s’engager résolument dans le dur chemin de la repentance pour donner une chance à la réconciliation nationale n’est pas encore compris par ceux qui ont eu la responsabilité politique et morale des graves violations des droits de l’homme dans notre pays. Le devoir de mémoire est un impératif si nous ne voulons pas que de telle tragédie se répète. Zogota, Gallapaye, le 27 février 2013 pour ne citer que ces massacres, sont là pour nous rappeler que le pire est toujours possible.

 

10.     Guinéenews©: Votre dernier mot

Bah Oury : Les guinéens sont désespérés et inquiets pour leur avenir et pour celui de leurs enfants. Leur désenchantement est légitime. Mais nous n’avons pas collectivement le droit de baisser les bras et d’abandonner le pays. Comme je l’ai dit à la conférence à laquelle vous avez assisté, j’ai foi en l’avenir de la Guinée. Elle se relèvera et sera demain l’une des locomotives économiques en Afrique comme le pensait justement Roland Pré, gouverneur du territoire de la Guinée et auteur de « l’avenir de la Guinée » au lendemain de la seconde guerre mondiale.

10.  Guinéenews© : Merci monsieur Bah.

 

Entretien réalisé par Bassamba DIALLO , chef du bureau de guineenews.org de Bruxelles

 

 

 

 

BAH Oury

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