“La mobilisation sociale et civique est l’ultime moyen pour réussir à la fois à changer la gouvernance politique en profondeur et instaurer à la fois un environnement propice à la construction démocratique et à l’établissement d’institutions politiques légitimes, solides et durables. Cette lutte aura aussi pour finalité de jeter les bases de l’indispensable redressement économique du pays et de la réconciliation nationale.”
Dans cette interview à bâtons rompus avec le vice-président de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG) depuis la France où il vit en exil il y a de cela deux ans, Bah Oury aborde entre autres la question de l’opposition républicaine extraparlementaire, la recomposition du gouvernement, son ambition au prochain congrès de l’UFDG. Lisez !
Guinéenews : Vous avez mis en place un nouveau mouvement qu’on appelle l’opposition républicaine extraparlementaire. Dites-nous quels seront les objectifs de ce mouvement et comment comptez-vous atteindre ces objectifs sur le terrain en Guinée vu que vous êtes hors du pays ?
Bah Oury : L’appel pour la mise en place de l’opposition républicaine extra-parlementaire est consécutive à la faillite du processus de la transition politique en Guinée. La signature des accords politiques du 03 juillet 2013 a été un coup de poignard porté contre la cause de la démocratie en Guinée.
D’abord, cette capitulation a entériné l’utilisation de la violence politique pour parvenir à ses fins (des dizaines de militants de l’UFDG froidement abattus, des centaines de personnes tuées en Guinée-Forestière, des destructions de concessions et de magasins, l’emprisonnement de milliers de jeunes militants et l’exil pour d’autres sans compter les assassinats ciblés). Cette « banalisation » de la violation systématique des droits de l’homme a ramené notre pays dans des situations analogues aux périodes les plus sombres de l’existence de l’Etat guinéen.
Ensuite, le processus législatif qui en a résulté a été bâti sur la base de la violation des règles de l’Etat de droit. Le code électoral a été piétiné. Un recensement électoral « illégal » a été organisé par Waymark et Sabary Technology. Ce fichier, qui a servi pour les élections législatives, est le principal instrument de la fraude que la gouvernance d’Alpha Condé utilisera pour les élections présidentielles futures. D’ores et déjà, il peut sans sourciller se déclarer vainqueur à coup sûr dès le premier tour. Des responsables politiques appartenant à l’opposition parlementaire cachent cette réalité en pérorant « en 2015, nous gagnerons » alors qu’ils savent pertinemment qu’ils ont sacrifié la lutte démocratique en Guinée.
Par conséquent, nous, les signataires de l’appel pour la mise en place de l’Opposition Républicaine Extra-parlementaire avons décidé de joindre nos efforts pour prendre le leadership du combat pour « le changement démocratique ici et maintenant ». Cette urgence pour l’action salvatrice est dictée par l’extrême dangerosité du pouvoir en place et l’accommodement qu’il bénéficie de la part de son opposition parlementaire.
Guinéenews : Comment allez-vous mener le combat en Guinée vu que vous êtes en exil en France ?
Bah Oury : La mobilisation sociale et civique est l’ultime moyen pour réussir à la fois à changer la gouvernance politique en profondeur et instaurer à la fois un environnement propice à la construction démocratique et à l’établissement d’institutions politiques légitimes, solides et durables. Cette lutte aura aussi pour finalité de jeter les bases de l’indispensable redressement économique du pays et de la réconciliation nationale.
Comme vous le voyez, partout où je peux être, je me rends utile à la cause de notre pays. Le fait d’être en exil, n’est pas en soi un handicap insurmontable. Au contraire, dans les circonstances actuelles, c’est un formidable atout pour faire entendre et faire connaître les souffrances du peuple guinéen. J’ai déjà une base politique solide et organisée tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays. Je n’ai pas de problème de reconnaissance ou légitimité politique. En étant à l’extérieur, je rattrape un certain retard dans les domaines des relations internationales sans lesquelles un réel leadership national aura de la peine à prospérer.
Guinéenews : Certains observateurs ne comprennent pas que vous soyez de l’UFDG qui siège au Parlement et que vous vous réclamez de l’opposition extraparlementaire. Qu’en dites-vous ?
Bah Oury : Le fait de se réclamer de l’opposition républicaine extra-parlementaire est avant tout un acte politique pour montrer ma défiance par rapport à une institution dont le péché originel la condamne à être une “caisse de résonnance des désidératas du pouvoir exécutif”. De ce point de vue, je suis l’une des rares personnalités politiques qui a dénoncé très tôt “la mascarade de dialogue politique” qu’Alpha Condé a instrumentalisé pour parvenir à ses fins sans avoir fait aucune concession pour justifier la signature des accords du 03 juillet 2013. Ceci prouve que je reste cohérent avec l’analyse que j’ai toujours faite. Ensuite, j’ai décliné l’offre d’être inscrit en 2éme position sur la liste nationale de l’UFDG. Donc ma position actuelle est en droite ligne de la continuité de mes choix.
Cette attitude est-elle antagoniste avec mon appartenance organique à l’UFDG ? Ma réponse est évidemment non. Elle montre seulement que l’UFDG est traversée par deux courants politiques qui divergent par rapport à l’analyse de la situation politique et qui conséquemment évoluent dans deux directions contraires. Les uns veulent se “mouler” dans un processus politique d’accommodement avec la gouvernance actuelle en acceptant de le servir de “caution démocratique”. Les autres estiment que la gouvernance actuelle est un danger pour les fondements de la république et qui ruine aussi toute possibilité d’émergence d’une société réconciliée, démocratique et prospère en Guinée. Cette dualité aura nécessairement une fin lorsque le contexte politique aura profondément changé avec une sortie de crise salvatrice et durable pour la Guinée.
Guinéenews : A ce sujet d’ailleurs, le Pr. Mamadou Sow, leader du Rassemblement des Forces Démocratiques (RFD) qui se réclame aussi de l’opposition extraparlementaire s’exprimant sur une radio privée en Guinée, disait ceci : « Il faut que Bah Oury clarifie sa position. Il ne peut pas se réclamer à la fois de l’UFDG qui est au parlement et se réclamer de l’opposition extraparlementaire ».
Bah Oury : Je remercie M. Sow Mamadou de se soucier de mon positionnement politique. Mais ce qui importe le plus est d’être du côté de la population en lui fournissant les moyens politiques et organisationnels de son émancipation sociale. C’est le sens de mon combat depuis très longtemps. Nous n’avons pas attendu la Loi Fondamentale en 1990 pour créer avec Dr Thierno Mandjou Sow, l’OGDH pour défendre les Guinéens contre les abus du pouvoir et les violations des droits des citoyens. Nous n’avons pas attendu la légalisation des partis politiques en 1992 pour organiser les étudiants afin qu’ils puissent défendre leurs droits. Donc, nous n’attendons pas que d’autres nous indiquent notre place dans la lutte politique pour la démocratie et la liberté. Nous agissons en cela guidés par nos convictions démocratiques et citoyennes. Aujourd’hui, le parlement est transformé en une coquille pour servir Alpha Condé ; notre rôle est de servir le peuple de Guinée en étant hors de ce parlement.
Guinéenews : Avez-vous la même conviction que Dr Faya Millimono du Bloc Libéral et Boubacar Barry de l’UNR qui se réclament aussi de l’opposition républicaine extraparlementaire ?
Bah Oury : Sur le plan sémantique l’appellation extra-parlementaire est une traduction d’un acte politique de défiance vis-à-vis du processus global qui a abouti à la mise en place de cette assemblée. Par conséquent, Faya Millimono du Bloc Libéral s’était démarqué très tôt et n’a pas participé aux consultations législatives. Par contre, tous les autres ont peu ou prou marqué leur accord au processus politique à savoir la signature des accords du 03 juillet et la participation aux élections législatives en tant que tel ou en alliance avec d’autres formations politiques. Leur absence au parlement n’est que la résultante de leur faible représentativité sur le terrain. En d’autres termes, dans le contexte actuel, le PEDN de M. Kouyaté pour avoir refusé de siéger et le Bloc Libéral sont à mes yeux des forces extra-parlementaires.
Guinéenews : Un mot sur la recomposition du gouvernement…
Bah Oury : Ce n’est pas la composition du gouvernement qui est essentielle. Tous les attributs du pouvoir sont concentrés entre les mains d’Alpha Condé. C’est à ce niveau qu’il y a un grave déficit de leadership positif. C’est cela qu’il faut changer. Ne dit-on pas que “le poisson pourrit toujours par la tête”.
Guinéenews : A peine installé, le nouveau gouvernement a fixé le prix des produits pétroliers à 10.000 FG soit une augmentation de 500 FG. Selon le porte-parole du gouvernement, cette augmentation est due à la fluctuation du prix sur le marché internationale. Quelle est votre réaction ?
Bah Oury : Le gouvernement impute cette augmentation de prix à la montée du prix du pétrole sur le marché international. Or, au marché international, le prix du pétrole est caractérisé par une stabilité remarquable. Donc, le gouvernement a travesti la réalité, car son argumentation est mensongère.
En vérité, le nœud du problème se situe au niveau de la politique des changes. Comment justifier que malgré des réserves de change avec les millions de dollars de Rio Tinto, de Rusal, du don d’Abu Dhabi (90 millions US), du prêt d’Angola (150 millions us) et d’autres, n’ont pas permis de ramener la parité GNF/USD à un niveau raisonnable. Les autorités actuelles placent les avoirs guinéens en devise dans des paradis fiscaux pour leur propre compte au lieu de procéder à une gestion rigoureuse et vertueuse de l’économie nationale. Elles refusent ainsi d’allouer des devises pour procéder aux importations des biens stratégiques comme le carburant. C’est, cette mal-gouvernance qui explique que les Guinéens n’arrivent pas à souffler depuis l’arrivée d’Alpha Condé au pouvoir, alors que la Guinée n’a jamais eu autant de ressources en devises en si peu de temps.
Guinéenews : Que pensez-vous d’une candidature unique de l’opposition à la présidentielle de 2015 ?
Bah Oury : Justement en 2003, nous avions préconisé une candidature unique de l’opposition pour contrer le général Lansana Conté comme Madagascar l’avait fait contre l’Amiral Ratsiraka. M. Sydia Touré et M. Alpha Condé avaient refusé catégoriquement cette proposition de l’UFDG. Le contexte à l’époque était défavorable à l’opposition démocratique car la mobilisation sociale et civique était balbutiante.
Aujourd’hui, il ne faut pas vouloir “corriger ” les fautes qui résultent de la “capitulation du 03 juillet 2013” en mettant en avant une candidature unique en 2015. Peu importe que les candidatures soient uniques ou multiples, M. Alpha Condé a d’ores et déjà un boulevard pour “sa réélection” dès le 1er tour. Les chances d’une alternance politique par la voie des urnes dans le contexte actuel n’existent que dans l’imagination de vendeurs d’illusions.
Guinéenews : Alors, selon vous, d’où viendra l’alternance ?
Bah Oury : La mobilisation sociale et citoyenne est la seule alternative crédible pour sauver la Guinée de la déchirure avant qu’il ne soit trop tard. C’est cette stratégie qui avait été utilisée en 2007 contre le vieux Général. C’est maintenant en tirant les leçons du passé que nous devons changer la gouvernance dans notre pays par le départ d’Alpha Condé du pouvoir. En 2015, il sera trop tard pour espérer que la Guinée puisse se redresser. Le syndrome de l’ingouvernabilité du pays comme la Centrafrique, sera alors l’issue fatale au grand dam de nos intérêts nationaux, de notre cohésion et de notre survie en tant que nation souveraine et en paix.
Guinéenews : Des informations circulent à Conakry que vous êtes en négociation secrète avec Alpha Condé pour votre éventuel retour en Guinée…
Bah Oury : Je ne suis pas informé de l’existence de négociations avec le pouvoir guinéen pour mon retour dans mon pays natal.
Guinéenews : Des observateurs pensent que l’entrée en politique de Sadakadji risque de déstabiliser l’UFDG étant donné qu’il va puiser son électorat dans votre fief qui est le Foutah …
Bah Oury : Comme tout citoyen guinéen, il est libre d’agir à sa guise pour défendre ses idées et ses prétentions politiques. De ce point de vue, seuls Dieu et le peuple guinéen sont les juges.
Guinéenews : Au congrès de l’UFDG, peut-on s’attendre à votre candidature pour briguer la présidence du parti ?
Bah Oury : Deux courants politiques structurent la vie de l’UFDG aujourd’hui. Donc un accord entre les deux courants est indispensable pour envisager la tenue d’un congrès responsable et réunificateur afin de faire asseoir un autre mode de gouvernance de l’UFDG pour l’intérêt des militants et de l’institution politique. C’est cette raison qui explique que j’ai tendu la main à M. Cellou Dalein. Cette main demeure toujours tendue malgré que de l’autre côté, il y a plus de raisons de douter de leur bonne foi. En ce qui concerne le leadership de l’UFDG, si les militants majoritairement le souhaitent, je suis prêt à assumer les plus hautes responsabilités au niveau de parti.
Guinéenews : Un séminaire sur l’UFDG en Europe vient de se tenir au Pays-Bas. Est-ce que vous avez été associé ?
Bah Oury : J’ai appris par voie de presse qu’une conférence des fédérations de l’UFDG en Europe est conviée en Hollande ce jour. J’ai appris également que les membres actuels de la Coordination Européenne de cette structure ne sont ni informés, ni invités en l’occurrence M. Diallo Siradiou et M. Diallo Lamine respectivement Secrétaire national de l’UFDG chargé des relations avec les Institutions européennes et Secrétaire fédéral de l’UFDG-Allemagne et Adama Sow. Ces manquements graves constituent un casus-belli et prouvent une volonté de marginalisation d’une fraction importante du parti.
Entretien réalisé par Sarifou Barry depuis la France pour Guinéenews, téléphone : 336 85 81 54 97