Bah Oury, le vice-président de l’UFDG (exclu en février 2016, ndlr) a accordé à votre quotidien en ligne Guineenews une interview. Dans cet entretien, l’ancien ministre de la Réconciliation s’est prononcé sur les violences intervenues à l’occasion de l’installation des exécutifs communaux et leur genèse. Il accuse la mouvance et l’opposition d’être responsables de la situation délétère que traverse le pays. M. Bah Oury dénonce « l’impunité » dont jouissent à la fois les forces de l’ordre et des citoyens.
Guinéenews : l’installation des exécutifs communaux a causé assez des troubles violents dans plusieurs localités du pays. Pour vous, qu’est-ce qui explique ces violences?
Bah Oury : il y a plusieurs facteurs qui expliquent ces séries de violences au niveau de l’installation des élus communaux. La première est due au fait que certains dirigeants de la mouvance et ceux de l’opposition républicaine ont détourné ces élections communales de leur but essentiel. C’est-à-dire les communes, c’est pour que les citoyens gèrent par eux-mêmes et pour eux-mêmes leurs collectivités locales. Certains responsables politiques en ont fait, disons, une sorte de campagne comme s’il s’agissait d’une présidentielle. De ce point de vue, cela a cristallisé, disons, des oppositions qui n’auraient pas dues être parce que fondamentalement, l’application par le législateur de la proportionnelle pour les communes permet à toutes les listes ayant des élus ou un élu de gérer ensemble dans la convivialité, dans le partage et dans la coopération la gestion des communes. C’était un exercice extrêmement important pour amener les uns et les autres à travailler ensemble, à gouverner ensemble les communes.
Guinéenews : peut-on mettre en cause l’accord politique signé le 12 octobre 2016?
Bah Oury: cet accord a généré des facteurs de crise extrêmement importants. D’abord, l’accord du 12 octobre a concocté un code électoral taillé sur mesure pour permettre à la mouvance et à ceux qui se réclament de l’opposition républicaine de se partager le pouvoir dans le pays en mettant en place des oligarchies qui allaient étouffer toute possibilité d’émergence de nouveaux acteurs politiques. De ce point de vue, le code qui a été mis en place et qui a été voté par l’assemblée nationale au mois de février 2017 était sur beaucoup d’aspects liberticides : refus de l’existence des candidatures indépendantes, l’élimination de la participation de certains partis ayant une faible participation au niveau de la gestion, disons, de la distribution des cartes ou de la collecte des informations concernant le processus électoral sur le terrain proprement dit. Donc, des séries de mesures de ce genre pour conforter quelques élus, mettre des clans pour régenter le pays pendant longtemps.
Heureusement que la Cour constitutionnelle a révisé certains aspects et n’est pas allée dans le sens de ceux qui voulaient phagocyter le processus démocratique de notre pays, éliminer la décentralisation et enfin de compte maintenir contre vents et marées un petit clan qui allait étouffer toute velléité de changement. Mais, cela n’a pas prospéré grâce au concours de la Cour constitutionnelle. Il y a un aspect qui n’a pas été pris en compte. C’est la nomination des chefs de quartiers par des listes qui arrivent en tête dans chaque circonscription. Là, c’est un autre problème mais, on ne va pas s’appesantir sur ça. Donc l’accord du 12 octobre 2016 était une dérive démocratique. Ce qui a généré des crises et qui a abouti malgré tout à l’organisation des élections communales. Vous voyez des gens qui ont une expérience politique, qui ont gouverné ce pays, ils votent une loi à l’Assemblée nationale et pour son application, ils disent tant que les décisions ne sont pas conformes à leurs vœux, il faut contester la loi. C’est-à-dire le code électoral. La CENI a tenu bon de ce point de vue en restant stricte dans l’application des résultats définitifs proclamés. Pour que vos lecteurs comprennent bien, ils ont voté une loi électorale. Ils ont dit que les contentieux seront examinés par les tribunaux de première instance de chaque circonscription. Ils ont rajouté noir sur blanc que les décisions des tribunaux ne sont susceptibles d’aucun recours. Cela veut dire que le magistrat fasse bien son travail ou le fasse mal, on ne peut pas revenir là-dessus conformément à la loi. Mais, ce sont eux qui ont fait ça. Donc, qu’ils assument la responsabilité de cet acte. Loyauté oblige vis-à-vis de leurs propres décisions législatives, ils devraient se contenter de cette approche et peut-être une autre législature proposera des amendements pour corriger les imperfections notoires concernant ce code électoral.
Guinéenews : peut-on dire alors que les élections locales ont été vidées de leur essence?
Bah Oury : je ne dis pas qu’elles ont été vidées de leur essence. Malgré tout, avec les lois telles qu’elles existent actuellement, elles auraient pu permettre de faire avancer les choses. Parce que depuis 13 ans, il n’y a pas eu d’élections communales, il n’y a pas eu une participation, effective par eux-mêmes et pour eux-mêmes, des citoyens pour élire leurs représentants. Ce sont des délégations spéciales, des gens qui sont d’une autre mentalité de gouvernance qui ont régenté les communes et c’est ce qui explique les difficultés notoires en ce qui concerne les services de base, l’assainissement des villes, etc. Nous sommes à la traine. Nous pâtissons de ces lacunes graves. Donc, la responsabilité à cela incombe à ceux qui ont mis les accords comme étant des facteurs ou de moyens de gouvernance au détriment de la loi.
Guinéenews : le 8 août 2018, la mouvance et l’opposition ont signé un accord dans lequel elles se sont entendues sur certaines localités du pays eu égard les résultats sortis des urnes. Mais, il se trouve qu’aujourd’hui, que cet accord n’est pas respecté et entraine des mouvements de protestation partout sur le territoire national. A qui, faut-il amputer la responsabilité de cette situation?
Bah Oury : les deux sont responsables en violant la loi pour contenter une certaine forme d’enfantillage pour satisfaire l’égo, les désirs et les humeurs des dirigeants politiques qui sont complètement déphasés par rapport à l’intérêt de la majorité de la population. Pourquoi, faire des accords alors que la loi est stricte en la matière ? Pourquoi, le ministre de l’Administration du Territoire, après la proclamation des résultats définitifs par la CENI, constitutionnellement habilitée à le faire, n’a pas convoqué les élus pour les installer dans les délais requis ? Il attend neuf mois pour que la Guinée soit la risée du monde. Et que le processus de vote soit déconsidéré aux yeux des citoyens ? Le ministre de l’Administration du Territoire est totalement responsable de cette situation. Maintenant, les acteurs politiques qui se disent qu’ils sont qualifiés pour diriger le pays et qui fonctionnent comme cela montrent qu’ils sont disqualifiés pour parler de l’Etat de droit, de démocratie, de gouvernance vertueuse. Parce que leurs pratiques ont montré que ce sont des attitudes qui n’ont rien à voir avec l’esprit de la loi, l’esprit d’une vision démocratique et de l’installation d’un véritable Etat de droit. Donc, il y a un pacte entre deux groupes qui se partagent entre l’opposition républicaine et la mouvance pour prendre en otage le vote des citoyens et les institutions qui sont chargées de les régenter en conformité avec les textes règlementaires et les textes constitutionnels. Qu’ils en assument totalement la responsabilité.
Guinéenews : dans certaines localités, nous avons deux maires: un élu et un autoproclamé. C’est le cas de Kindia ou à Kalinko. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
Bah Oury : vous avez affirmé tout à l’heure que leur accord n’a pas été respecté. L’accord dit, tel qu’ils l’ont signé, que les votes pour les communes, bien qu’ils enfreignent à la loi, ils se sont repartis les votes en disant qu’à Dubréka, l’UFDG s’abstiendra de présenter des candidats pour l’exécutif communal notamment pour le poste de maire. Ce qui a été le cas. De ce fait, c’est le candidat de la mouvance qui est actuellement maire de Dubréka. A Kindia, ils se sont dits que les élus de la mouvance vont s’abstenir de présenter un candidat. Et c’est un élu de l’opposition qui sera maire là-bas. Mais en ce que je sache, M. Mamadouba Bangoura, est membre de l’UDG, une formation qui est dirigée par Elhadj Mamadou Sylla. Qui siège au niveau du conseil du chef de file de l’opposition. Donc, personne ne peut dénier le titre de membre de l’opposition même dite républicaine à l’UDG d’Elhadj Mamadou Sylla. De ce fait, leur accord stipule que ce sera un candidat de l’opposition. C’est ce qui a été le cas. Ils ont organisé une élection. Ainsi, M. Bangoura a été élu. Les autres n’ont qu’à s’en prendre à leurs propres responsabilités. L’accord a été respecté. S’il y a des tiraillements entre l’opposition républicaine et la mouvance présidentielle, qu’ils règlent cela entre formations politiques. Pourquoi mener l’ensemble de la société guinéenne, l’ensemble de la nation dans des querelles entre deux partis politiques comme si ces deux partis représentent toute la Guinée ? Cela aussi est une autre lecture pour montrer une mauvaise foi et une mauvaise lecture de la structuration politique et la représentation des partis dans ce pays. Mais bon, lorsqu’on est héritiers d’une vision de parti-Etat et de la pensée unique, on ne peut penser que comme ça. Je dis et je répète quel que soit le responsable politique qui sacrifie les intérêts du pays pour ses intérêts personnels, à mes yeux, il est disqualifié pour parler de la nation, d’une bonne gouvernance, disqualifié pour demander aujourd’hui et demain le suffrage de nos compatriotes.
Guinéenews : quelle est la solution face à cette situation de crises à répétition?
Bah Oury : je dis et je répète, la loi, rien que le respect de la loi, de la manière la plus stricte et de la manière la plus transparente. Cela permet de faire en sorte que tous les citoyens puissent se sentir égaux en droits et en devoirs aux yeux des institutions de la République. L’attitude de ceux qui sont en train d’organiser des sempiternelles manifestations , cherchent une sorte d’impunité pour avoir un régime de type censitaire. (…)C’est le respect de la loi qui permet d’unir, de rassembler et d’assurer la stabilité. Toutes les autres attitudes de copains et de copinages qui consistent à dorloter des gens qui mettent la sécurité nationale en danger sont des facteurs de troubles à court et moins termes. Ceux qui vont dans ce sens sont en train de sacrifier la stabilité de la Guinée pour contenter des attitudes insatiables pour un pouvoir rien que personnel. Il faut que la République soit défendue. La loi, rien que la loi, dans la transparence, dans l’équité pour rassembler, pour rassurer et pour réunir l’ensemble des citoyens guinéens. C’est ça qui permet d’avoir la paix et la stabilité. Toutes autres considérations seront des attitudes de faiblesses pour cultiver l’impunité qui mettent en insécurité nos concitoyens et opposent les communautés et les groupes ethniques de notre pays. Ceux qui se réfugient derrière les ethnies pour présenter leurs ambitions comme étant l’ambition d’une communauté se détournent de la réalité et ne représentent en rien les ambitions et les intérêts de quelque groupe social de notre pays.
Entretien réalisé par Amadou Kendessa Diallo pour Guinéenews