CONAKRY- Qu’est-ce qui est à l’origine de la crise économique qui frappe la Guinée. Bah Oury qui est rentré d’un exil de plusieurs années au mois de janvier dernier, a fait une analyse du bras de fer qui oppose le Gouvernement et les syndicalistes. Dans cet entretien exclusif qu’il a bien voulu accorder à notre rédaction, Bah Oury analyse la crise et fait des propositions de solution. Exclusif !!!
AFRICAGUINEE.COM : Monsieur Bah Oury bonjour !
BAH OURY : Bonjour Monsieur Diallo !
Quelle lecture faites-vous de la grève qui frappe la Guinée depuis bientôt une semaine ?
J’avoue que je commente cela avec beaucoup de tristesse parce que j’estime que les symptômes de cette crise ne datent pas d’aujourd’hui. Elle date depuis le début de la décennie 2000 où les dysfonctionnements graves de l’économie guinéenne ont été visibles à tous les niveaux. Et ça avait occasionné les troubles sociaux des années 2005, 2006, 2007, et la crise politique s’en est suivi en 2008, et elle s’est accentuée avec les crises postélectorales de 2010. Donc, en d’autres termes, c’est comme si la Guinée pendant quinze ans n’a pas pris les mesures de l’ampleur de la situation économique pour mener les grandes réformes dont le pays a besoin.
Ce n’est pas par des opérations ponctuelles : diminutions des denrées par-ci, augmentation d’une taxe par-là qu’on va résoudre ces graves dysfonctionnements. C’est comme si on tourne en rond, année par année, c’est toujours les mêmes problèmes. La situation mérite qu’on s’arrête, qu’on réfléchisse et qu’on passe comme revue les graves problèmes du pays, au point de vue structurel pour décider une perspective qui permettra à la Guinée et aux guinéens de s’en sortir pour améliorer le niveau de vie. Pour répondre à l’attente de la très grande majorité des jeunes qui sont dans une désespérance totale. Je m’explique :
La crise économique guinéenne doit être vue au regard de la politique monétaire qui est en cours dans le pays. Il faut voir à travers cet aspect macroéconomique la question de la capacité de gérer une monnaie nationale avec la rigueur nécessaire pour que la monnaie soit gérée avec sérieux, constance et rigueur. Malheureusement, la mal gouvernance endémique est liée à cet aspect des choses qui méritent une réflexion et une autre vision stratégique pour sortir le pays de l’impasse. Ça c’est le premier élément.
Le deuxième élément, c’est au point de vue de la crise structurelle qui assaille le pays. L’organisation de l’administration économique du pays est tributaire de méthode et de fonctionnement qui datent des années 60. Dans le monde où c’est le numérique qui gouverne, il va de soi que si on ne se met pas en phase avec la situation mondiale et la situation aux autres pays comparables au nôtre, en terme de modernisation de l’administration économique du pays, nous serons à la traine.
Au point de vue de la question sociale, la grande majorité des guinéens voit l’Etat à travers, non pas une politique de redistribution des richesses, aux plus démunis, mais à travers des pressions fiscales administratives et de l’absence des prises en compte des besoins sociaux fondamentaux. C’est ce déficit d’organisation structurelle de la répartition des richesses à une échelle plus large du pays qui fait que le sentiment national s’est effrité. C’est la loi de jungle en d’autres termes.
Une Nation ne peut exister si les plus faibles sont toujours écrasés. Et les plus forts se passent du droit et montrent seulement leur puissance et tant pis pour les autres. Ces questions montrent qu’il y a un problème de fond qui transcende les positionnements politiques traditionnels entre mouvance et opposition. La Guinée a besoin à l’heure actuelle d’une profonde réflexion de ses élites de la manière la plus sérieuse et la plus profonde pour éviter la situation toujours de répétition de ce qui s’est passé durant ces dernières décennies. Et c’est la raison pour laquelle quand je parle d’une opposition constructive, crédible responsable tournée vers l’avenir et la modernité, c’est un appel à une grande réflexion pour que nous puissions préparer la Guinée de demain, en n’étant pas complaisant avec nos faiblesses. En scrutant de la manière la plus approfondie les dysfonctionnements aussi bien de l’appareil économique que la société guinéenne pour faire entrevoir un autre espoir. Et je pense que cet espoir est possible.
Etes vous de ceux là qui pensent que l Gouvernement a une part de responsabilité dans la crise économique que traverse le pays actuellement ?
C’est à ce niveau-là qu’il faut se poser la question de la responsabilité. Elle est partagée. Je m’explique : vous avez un pouvoir qui gouverne. Il a la plus grande part de responsabilité dans la conduite générale du pays, tant sur le plan sociale, économique, structurel et institutionnel. Par contre les contrepouvoirs, société civile, syndicats, partis politiques dit de l’opposition, ont aussi leur part de responsabilité. Si les contrepouvoirs pèchent par une certaine inefficacité, il va de soi que le Pouvoir sombrant dans une routine traditionnelle, n’a pas pris le pool des réformes dont il fallait faire dans le pays dès le début avec vigueur et constance. Cela veut dire que les syndicalistes ne doivent pas se contenter de dire que ‘’ce qui m’intéresse c’est mon salaire, mon pouvoir d’achat’’. C’est une vision très restrictive du rôle du syndicat.
Le syndicat avant de s’atteler uniquement à la question du Pouvoir d’achat, doit aussi penser à ce qui est essentiel dans la protection de l’outil de travail. Cela veut dire que dans le syndicat également, la nécessité de réflexion en leur sein sur une attitude critique et une vision vigilante de la marche du pays doivent être la rigueur pour ne pas attendre qu’il y ait la catastrophe pour réagir. Donc, à tous les niveaux, je pense qu’il y a un besoin de réflexion et de remise en cause.
C’est vrai que le syndicat peut s’atteler à dire que nous voulons l’augmentation du Pouvoir d’achat. C’est dans leur rôle et c’est dans leurs attributions. Et à l’heure actuelle, vu la situation du pays, c’est tout à fait légitime de demander à ce que le pouvoir d’achat soit revalorisé pour permettre à la grande majorité de la population, qui est en train de sombrer dans une misère la plus noire, de pouvoir relever la tête.
Mais le syndicat démocratique tourné vers l’avenir, qui est indispensable, doit aller au-delà de la question du pouvoir d’achat et se poser la question du maintien et de la modernisation de l’outil de travail de manière générale. C’est-à-dire s’intéresser à la situation de l’entreprise et de la modernisation des méthodes de travail au sein de l’entreprise pour être des contrepouvoirs par rapport à une vision archaïque qui veut simplement ramener les syndicats à des questions pécuniaires. Si les syndicalistes nouveaux vont dans ce sens, je pense que ça permettra de changer la manière dont le travailleur guinéen est perçu. Et ça obligera une plus grande participation des travailleurs aux grandes décisions concernant leur entreprise et les méthodes de travail de manière générale. Le pays a besoin des réformes en profondeur à tous les niveaux. Et personne n’est exempt de cette volonté et de cette quête, sinon la situation est très grave.
A suivre…
Interview réalisée par Diallo Boubacar 1
Pour Africaguinee.com
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