Le Président Alpha CONDE vient de fêter l’an I de son second mandat à la tête du pays. A l’aune d’une année de gestion post électorale, une analyse rétrospective de l’évolution de la gouvernance est nécessaire afin de mettre en lumière ses continuités et ses ruptures.
Un champ politique bouleversé
Les observateurs internationaux et aussi une majorité des guinéens redoutaient à juste titre les lendemains de l’élection présidentielle du 11 octobre 2015. Instruits par un premier mandat marqué par une série de crises politiques récurrentes et des répressions violentes, bouleversés par deux années de fièvre hémorragique Ebola et écrasés par une récession économique sans précédent, les guinéens étaient anxieux et craignaient de voir le pays implosé.
Leurs craintes étaient justifiées. Le candidat de l’UFDG, Cellou Dalein déclara le lendemain des élections « ne pas reconnaître les résultats qui seront proclamés » et retira ses représentants des commissions de centralisation des votes. Dans une vidéo il fait appel à la rue pour contester les élections en disant « quiconque meurt, ce sera parce que DIEU l’aura voulu !». De mon côté, de la France où j’étais en exil, je lance un appel le mardi 13 octobre pour demander aux populations de s’abstenir de « toutes formes de manifestations, car il n’y a aucune stratégie conséquente et utile qui les sous-tend. La population guinéenne en a assez de voir des jeunes gens tués et des biens détruits ! ». Grâce à DIEU, cet appel fut entendu au delà des espérances. La Guinée évita ainsi in extremis une crise post-électorale sanglante et ruineuse.
Ce sursis inattendu en faveur du maintien de la stabilité du pays, encouragea le Président Alpha CONDE de passage en France à la fin du mois d’octobre 2015, de m’inviter à le rencontrer à Paris. Ce qui fut fait. Cette rencontre souleva l’ire de Cellou Dalein qui dépité, la qualifia de« non-événement ». Or, ce fut un tournant majeur de la politique guinéenne. En effet le Président Alpha CONDE, lors de l’entretien, montra son souci d’avoir un climat politique apaisé dans le pays afin d’encourager les investisseurs à s’intéresser à la Guinée. Il ajouta « les populations guinéennes sont fatiguées, notre devoir est de faire le mieux afin qu’elles puissent souffler un peu… » . Il est évident que l’aggravation de la misère dans un contexte de crise politique larvée et de replis identitaires exacerbés est un cocktail explosif pour la cohésion nationale. En effet, la pauvreté de masse chez les jeunes scolarisés ou non, est un ferment sur lequel peuvent prospérer les radicalisations de toutes sortes. Par conséquent pour éviter à la Guinée une issue aventureuse et dangereuse, j’ai signifié à mon tour au Président de la République notre convergence de vues sur l’impérieuse nécessité d’œuvrer pour un climat politique apaisé dans notre pays. L’entretien s’est conclu sur le retour des exilés et la libération des détenus politiques notamment ceux incarcérés dans le cadre de l’affaire dite du « 19 juillet 2011 ». A cet égard des avancées notables ont été réalisées mais cinq personnes restent encore détenues. Nous espérons que les actions seront poursuivies afin, que dans un laps de temps proche qu’il n’y ait plus de « détenus et d’exilés politiques en Guinée ».
La décrispation politique en Guinée ou les travaux d’hercule
Rares ont été dans l’Histoire de la Guinée, les moments de concorde et de communion entre les différentes composantes nationales, excepté les brèves périodes euphoriques des débuts de l’indépendance nationale et de la chute de la dictature en avril 1984. Jusqu’à cette date, les autorités guinéennes d’alors, ont évolué dans une ambiance hystérique d’assiégées. Cela eut des conséquences dramatiques. Isolée par rapport aux pays francophones du fait de la rupture avec la France Gaulliste, la Guinée s’était retrouvée engluée malgré elle dans une polarisation en faveur du bloc soviétique en pleine guerre froide Est- Ouest. Le capitalisme d’Etat de type soviétique et ses corollaires de pénuries endémiques et de rationnements obligatoires avaient déstructuré l’économie nationale et avaient ruiné également les exploitations agricoles. Les paysans étaient taillables et corvéables sans retenue et étaient pressurés par les impôts en nature ou « normes ». Cette atmosphère délétère avait de facto assuré la mise en place de forces répressives pour contenir et étouffer toutes velléités de contestation avec l’institutionnalisation de la théorie du « complot permanent ».
L’arrivée au pouvoir du CMRN avec le Général Lansana CONTE avait fait espérer une décrispation en profondeur de la société guinéenne, mais très vite, il a fallu déchanter. Les rivalités au sein de l’armée pour l’exercice du pouvoir, exacerbées par les contradictions ethniques sous-jacentes dans la société guinéenne avaient ruiné la lueur d’espoir. Le processus de libéralisation politique avec la légalisation des partis politiques était dans ce contexte, un simple habillage pour se conformer à l’air du temps tel que le discours de La Baule de François MITTERAND. La gouvernance du Général Lansana CONTE était aussi caractérisée par l’ethno-stratégie et l’usage de la répression pour contenir les flots des revendications démocratiques.
Un demi-siècle de manque de démocratie réelle et de violations retentissantes des droits de l’homme a façonné des élites administratives et politiques rétives à la concertation et à l’esprit d’un véritable dialogue. La culture politique dans laquelle elles ont baigné est celle de l’exclusion et du parti-unique. Le culte de l’autoritarisme et le refus du débat critique et constructeur caractérisent leurs gènes politiques. Cette réalité sociologique est l’une des racines du mal-guinéen. C’est ce qui explique en partie les échecs des luttes populaires pour le changement de la gouvernance notamment aux lendemains des bouleversements sociaux et politiques de 2007. Les velléités tardives du Général Lansana CONTE avec le gouvernement d’Ahmed Tidiane SOUARE d’insuffler une nouvelle dynamique au niveau de la réconciliation nationale d’une part et de la décentralisation et du développement local d’autre part n’avait pas eu le temps de faire leurs preuves. La disparition du Général le 21 décembre 2008 et l’irruption sur la scène politique du CNDD avaient sonné le glas d’une politique réformiste en vue d’améliorer la gouvernance globale du pays. Arrivé au pouvoir à la suite d’élections présidentielles âprement disputées, le premier mandat du Président Alpha CONDE s’est illustré aussi dans la continuité d’une politique de marginalisation et de stigmatisation des forces contestataires. Toutefois le second mandat a commencé sous de meilleurs auspices.
L’espoir est permis
Notre société d’aujourd’hui a beaucoup changé. Elle est également traversée par de nouvelles idées novatrices et modernes qui sont à maints égards le fruit d’expériences et de vécus différents. Elles sont essentiellement perceptibles au niveau des jeunes nés à partir de la fin des années 80. Ces jeunes sont en proie au chômage endémique. Ils sont connectés au monde. Ils se comparent aux autres jeunes des pays limitrophes et souffrent d’être des « damnés de la terre ». Ils rêvent de trouver l’espérance ailleurs, en Europe ou en Amérique. Ils ne craignent pas de traverser le Sahara minimisant ainsi le risque de mourir de soif dans ce vaste désert ou de périr engloutis dans la méditerranée. Ils sont exigeants et aspirent à la modernité. Ils sont bref différents de leurs ainés et de leurs parents. Cette nouvelle génération aspire à vivre concrètement la démocratie et est habituée aux débats tels qu’ils le font dans les réseaux sociaux de Facebook. L’existence de cette demande politique est un réel espoir pour l’avenir et traduit ainsi l’émergence d’un nouveau « cycle politique en Guinée ». L’ancien se meurt petit à petit et le nouveau se construit progressivement.
Il est de notre responsabilité de rendre irréversible la décrispation politique qui a commencé voilà un an. Faire émerger de réels contre-pouvoirs efficaces pour enraciner la démocratie dans le quotidien est indispensable pour éviter les aller et retours dont nous sommes habitués. C’est la raison pour laquelle, il faut une opposition constructive pour veiller à l’effectivité de l’Etat de droit et du fonctionnement équilibré des institutions. Cette démarche est seul gage de la stabilité durable de notre pays.
La responsabilité du Président de la République est grande afin de conforter l’indispensable décrispation dont le pays a besoin. Un grand pas est fait. Maintenant il s’agit d’institutionnaliser cette approche en prenant des initiatives hardies dans deux principales directions :
- Du dialogue social et politique pour établir durablement le socle d’un consensus minimal qui définira les conditions d’une évolution stable et démocratique de la Guinée. Les travaux relatifs à la réconciliation nationale de la Commission provisoire constituent à cet effet une base pertinente sur laquelle s’appuyer.
- Du développement local et de la décentralisation pour remettre en force l’esprit du discours programme du 22 décembre 1985 afin de libérer les énergies qui sommeillent et de promouvoir une réelle démocratie locale.
Notre devoir est de mettre à la disposition des générations montantes, une nouvelle offre politique qui leur permettra de se réaliser et de retrouver les voies et moyens de la construction nationale et du redressement économique. Témoins de plus d’un demi-siècle de traumatismes collectifs qui ont déchiré le tissu social et effrité profondément le sentiment national nous avons le devoir de remettre le pays sur les rails d’une réelle réconciliation. Avec l’aide de Dieu, nous le pouvons !