À bâtons rompus avec Azoka et Abu bakr de la radio Lynx FM

Cet entretien est une adaptation de l’interview radiophonique du 22 avril 2020 de l’émission Œil de Lynx au lendemain de l’installation de la nouvelle législature qui a porté M. Damaro Camara à la tête de l’Assemblée Nationale.

Question : C’est une nouvelle législature avec la rentrée parlementaire suite au double scrutin du 22 mars 2020. M.Amadou Damaro Camara est élu président de l’assemblée nationale. Quelle est votre lecture de la cette situation ?

BAH Oury : D’abord cette assemblée a été mise en place suite à un coup de force, elle souffre donc d’une absence de légitimité. Le fait que les représentants de la communauté internationale accrédités en Guinée aient décidé de ne pas y assister montre que cette législature n’a pas également la caution de celle-ci. Par conséquent ses capacités d’action seront limitées pour avoir force de loi dans un contexte national et international relativement difficile.

Ensuite nous avons pratiquement un parti unique au sein de l’Assemblée Nationale ( le RPG a plus des ¾ de députés). Par une ironie du sort, ceux qui étaient présentés comme des combattants de la cause de la démocratie pendant plus de 40 ans sont ceux qui inaugurent une assemblée monocolore. C’est une double faillites morale et politique qui remet en cause beaucoup d’appréciations que nous avions sur certains représentants de l’Etat guinéen d’aujourd’hui.

La désignation de M.Damaro Camara comme Président de l’Assemblée Nationale soulève déjà beaucoup de problèmes. C’est une personnalité clivante qui s’est régulièrement illustrée par son agressivité vis-à-vis différentes composantes de la communauté nationale. Sa venue au perchoir exacerbera la crispation identitaire latente.

Les événements tragiques de Nzérékoré des 22 – 23 – 24 mars 2020 risquent d’être des signes annonciateurs de déflagrations plus importantes à l’avenir.  En plus sa nomination est une remise en cause de l’équilibre au sommet de l’Etat. Le poste de Premier Ministre est à cet égard dévalué dans leur nouvelle constitution. Ce poste a ainsi perdu de sa substance et de son importance. Le Premier Ministre n’est plus qu’un collaborateur de plus du Président de la République qui concentre désormais entre ces mains tous les pouvoirs. La montée en puissance de la frange la plus extrême du pouvoir est également un signal annonciateur de déconvenues dans un proche avenir. En fin le nouveau président de l’Assemblée Nationale s’est outrancièrement attaquée au Ministre des Affaires Etrangères de la France (M. Jean-Yves Ledrian) qui est un partenaire stratégique de premier plan de la Guinée. Au regard de tout ceci je pense que nous avons là, un cocktail explosif qui préfigure des situations de tensions dans le pays et qui vont inaugurer une période d’instabilité.

Question : Pourtant M. Damaro Camara a tenu un discours appelant au dialogue et à l’apaisement avec les partis de l’opposition. Qu’en dites-vous ? 

BAH Oury : Boff !! Beaucoup d’hommes politiques guinéens ont l’art de se comporter comme des caméléons. Aujourd’hui on dit telle chose et demain on fait autre chose. En politique, il faut fonder son jugement par une appréciation objective de l’examen d’un processus dans la durée et dans la constance des attitudes affichées. Le Président de l’Assemblée Nationale s’est rangé depuis toujours dans la frange la plus extrême du pouvoir qui devrait dans un Etat de droit, rendre compte à la justice.

Question : N’assistons-nous pas à une volonté de conservation du pouvoir par le RPG au-delà de 2020 ?

BAH Oury : Le RPG n’est plus tel qu’il était par le passé. Ce n’est plus la même réalité. Ceux qui parlent et agissent aujourd’hui en son nom, sont en train de confisquer l’essentiel des attributs de la souveraineté du peuple de Guinée. Cette confiscation du pouvoir ne va nullement dans le sens du développement, ni dans le sens de la construction nationale mais elle conforte la mise en place d’une oligarchie qui prétend considérer la Guinée comme sa propriété privée. Mais le peuple n’est pas dupe, il connait parfaitement les intentions qui se dessinent derrière tout ceci. Wait and see !

Question : Le Président A. Condé a préféré Damaro Camara en lieu et place de M. Kory Koundiano précédent Président de l’Assemblée nationale.

BAH Oury : Nous assistons à une manifestation de rapport de forces au sein de l’attelage présidentiel, car ils ne sont pas des enfants de chœur. Ce sont des intérêts qui sont en train de se combattre. La frange la plus extrême qui a la main mise sur certaines forces sécuritaires tente de prendre le dessus sur ceux qui paraissent raisonnables et qui sont perdants dans le bras de fer interne.

Question : Qui sont les perdants ?

BAH Oury : Le Premier Ministre institutionnellement dans cette nouvelle constitution est un des perdants.

Question : M. Damaro Camara a demandé pourtant le dialogue.

BAH Oury : En Guinée nous avons eu tellement de discours. Il nous faut désormais privilégier les actes et les faits pour fonder une juste appréciation. Vous ne pouvez pas parler alors de paix et par la suite mettre dos à dos les communautés nationales en exacerbant les discours remplis de haine ethnocentriste en évoquant par exemple son appartenance à une « communauté guerrière » . Cela n’augure rien de bon. Le discours de beaucoup de personnages politiques de notre pays n’est que circonstanciel et ne reflète pas le fond de leur pensée et ni leur véritable intention. C’est l’une des faiblesses notoires de la classe politique guinéenne. C’est comme si la scène politique est une pièce de théâtre.  Ils disent une chose, et ce qu’ils font est de loin à l’antipode des dynamiques d’entente, de développement et de paix.

Ils ont manifestement mis notre pays dans une situation très difficile. Regardez ! Covid19 est arrivé et nous sommes incapables de susciter voire de créer un sursaut national pour mobiliser l’ensemble de la société guinéenne pour faire face à la propagation de la pandémie. Regardez ! La communauté internationale par le biais de la Banque Mondiale et du FMI a alloué 446 millions de dollars US au Sénégal, 890 millions de dollars US à la Côte-d’Ivoire et plus de 1 milliard de dollars US au Ghana et malgré l’appartenance de la Guinée aux pays pauvres, elle ne figure point dans la première liste des pays bénéficiaires comme si elle devra attendre son tour plus tard. C’est un désastre pour la Guinée ! Ils ont mis notre pays en danger. Je souhaite que Dieu dans sa miséricorde fasse que la population n’en souffre pas trop.

Question : Et pourtant l’opposition laisse faire.

BAH Oury : C’est un système autiste, c’est-à-dire atteint de surdité. Toutes les autorités morales et religieuses de la Guinée leur ont demandé de ne pas suivre la voie de ce « changement constitutionnel ». Ils ont fait la sourde oreille, ils sont allés tout droit dans le fossé. Ils sont actuellement dans un trou qu’ils auront du mal à s’en sortir puisqu’ils ont coupé les amarres leur permettant de remonter. Ils ont perdu. Il ne faut pas se contenter d’un instant pour juger à priori une succession de faits probables et proches.

Le FNDC doit poursuivre sa voie dans la consolidation de la cause de la démocratie, dans l’approfondissement des idées qui permettront d’unir la population   autour de valeurs positives et dans la dynamique pour l’instauration d’un réel changement dans notre pays. Ce changement impliquera nécessairement de changer la manière de gouverner, dans les méthodes, dans les objectifs et aussi bien dans les priorités. C’est dans ce sens qu’il faut aller. Il ne faut point aller dans un sens qui consiste à s’agiter. En effet en s’agitant, nous ne créons qu’une écume éphémère et qui sera sans suite. Il faut travailler dans le fond et dans la durée. A chaque étape, il faut changer de stratégie et de méthodes.

La situation est très mauvaise. Les temps de remise en cause ne vont pas tarder à venir. Il nous faut préparer ce temps là pour permettre à la Guinée de sortir par le haut d’une situation dangereuse et chaotique.

Question : Les opposants ont-ils perdus ?

BAH Oury : La Guinée est momentanément perdante. Nous sommes tous perdants dans cette situation. C’est un reniement de nos valeurs au regard de nos luttes antérieures qui datent de plus de 40 ans. Nous sommes à cet égard tous perdants. Toutefois les approches  différent. Il y a parmi nous, ceux qui vont baisser les bras. Il y a aussi ceux pour qui la situation est irrémédiablement perdue et qui vont tenter de se rapprocher de ceux qui « palpitent » encore. Mais je dis, la Guinée est à la veille d’un profond changement et il faudrait cette fois-ci que ce changement soit bien pensé, bien réfléchi pour que cela puisse permettre à la Guinée de faire le bond en avant qu’il lui faut pour trouver sa place dans le concert des nations qui se développent, qui se réconcilient et qui progressent. J’y crois fermement et le temps du renouveau est plus proche que celui de l’implosion.

Question : D’où tirez-vous votre optimisme ?

BAH Oury : La situation n’est pas rose mais lorsque quelque chose disparait il va de soi qu’elle crée des désagréments et des troubles. C’est un monde qui finit et c’est le nouveau qui émerge difficilement des lambeaux du passé. Avec tout le respect que j’ai pour la maternité, vous savez que lorsqu’on donne la vie on risque de perdre la sienne. Il y a ceux qui veulent empêcher coûte que coûte le nouveau d’émerger parce qu’ils croient qu’ils n’auront plus de place dans le contexte du renouveau et de la renaissance de la Guinée. C’est ce combat qui se déroule aujourd’hui sous nos yeux. Ils utilisent à cet effet la force, l’arbitraire et des méthodes éculées depuis très longtemps. De l’autre côté nous devons faire preuve de pragmatisme et de sang froid en allant vers les populations.  Ainsi nous leur ferons comprendre les raisons qui font que la Guinée malgré ses multiples atouts n’est pas encore parvenue à être un pays émergent. Ce rêve de voir la Guinée devenir la locomotive de l’Afrique de l’ouest, a été caressé depuis les années 50 par plusieurs générations.

Il faut que nous mettions tout cela dans notre réflexion pour repartir et être la génération qui va enfin construire la Guinée et la réconcilier avec les grands espoirs que nos devanciers avaient rêvés pour notre pays. Nous y parviendrons !

Question : Qui sont les gagnants ?

BAH Oury :  Le nouveau est en train de gagner. Le monde ancien est en train de s’écrouler !

Question : Qui est le nouveau ?

BAH Oury : Le nouveau… c’est les idées nouvelles, et aussi la maturation d’une conscience patriotique et démocratique plus aigüe au niveau de la population guinéenne et des jeunes qui sont confrontés à la réalité absurde de ceux qui ne veulent pas du tout que la Guinée progresse. Ils se rendent compte que cela n’a pas d’ethnie, ni de couleur politique. C’est une mentalité partagée par l’ensemble des espaces sociaux et politiques. D’où le sentiment de confusion dans les esprits. Mais cette confusion est en train de se dissiper. En d’autres termes les forces du changement se retrouvent partout mais de manière diffuse. Pour le temps à venir, il s’agira de les faire rencontrer, les faire sortir des carcans qui ont été créés artificiellement pour les opposer, les émietter et les endiguer dans des cloisonnements ethniques ou sociaux. Lorsque nous ferons cela, alors la société guinéenne réussira à faire sortir par le haut, la Guinée d’une situation extrêmement désastreuse.

Question : Ne lancez-vous pas une pierre dans le jardin du RPG ?

BAH Oury : Le RPG ? Reconnaissons-le ! Parmi ses militants, beaucoup ont souffert d’injustice. Ils se sont rangés à un moment donné dans ce parti espérant que ce dernier incarnera leurs valeurs et leurs aspirations. Toutefois à l’épreuve du pouvoir ils se sont rendus compte que c’est pratiquement « blanc bonnet, bonnet blanc ». En effet l’ancienne gestion a rattrapé ceux qui sont venus au pouvoir sous la casquette RPG pour s’y confondre. C’est maintenant que le nouveau doit apparaitre. C’est maintenant que les démocrates et les patriotes de la Guinée doivent aller au-delà de leurs petits sentiments personnels. Alors il faut briser les archaïsmes, briser les méfiances, aller vers la nécessité de construire un grand pays, mobiliser les intelligences et les énergies et   ne pas s’enfermer dans des présupposés antagonismes ancestraux. Oui ! La Guinée doit aller de l’avant. Je considère que le moment est venu pour que la Guinée aille de l’avant ! Nous avons eu une longue expérience douloureuse qui nous a permis de savoir que ce n’est pas la couleur ethnique qui est en cause. Les élites gouvernantes ont plutôt conforté nos tares au lieu de les remettre fondamentalement en cause. Aujourd’hui, nous devons nous remettre en question pour pouvoir construire notre pays.

Question : Vous prônez une nouvelle ère politique.

BAH Oury : Une nouvelle ère est en train de s’imposer. Mais chaque phase historique a besoin d’un leadership conséquent, visionnaire et qui anticipe afin de permettre aux septiques de voir que le monde change.

Les journalistes : Merci M. BAH Oury

BAH Oury : Je vous remercie également

Conakry le 22 avril 2020

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BAH Oury

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