CONAKRY- L’Opposant guinéen Bah Oury vient de tirer la sonnette, alors que le chef du renseignement extérieur français a révélé récemment qu’Al-Qaïda au Sahel développe actuellement un « projet d’expansion » vers le Golfe de Guinée. Dans cet entretien, l’ancien ministre de la réconciliation interpelle sur les dangers auxquels les États de la sous-région sont exposés. En Guinée, “pays le plus en danger”, selon lui, le leader de l’UDRG (union des démocrates pour la renaissance de la Guinée), prône un dialogue susceptible de permettre aux guinéens de régler leurs conflits par les voies politiques et non pas par la violence. “C’est une nécessité absolue”, dit-il pour éviter que le pire n’arrive.

 

AFRICAGUINEE.COM : Le chef du renseignement extérieur français a révélé récemment qu’Al-Qaïda au Sahel développe actuellement un « projet d’expansion » vers le Golfe de Guinée. Selon vous quelles sont les menaces auxquelles la sous-région est exposée avec ce projet ?

BAH OURY : La menace est déjà là depuis pratiquement une dizaine d’années. Nous avons la crise sahélienne avec la montée de ces mouvements asymétriques Djihadistes. Ces mouvements ont déstabilisé une bonne partie du sahel. C’est une réalité que les populations du Mali, du Burkina-Faso, du Niger et du bassin du Lac Tchad sont en train de vivre, avec des milliers de morts et de déplacés. Cette réalité est là sous nos yeux. C’est le premier aspect.

 

Le second aspect, cette montée des risques djihadistes ou terroristes dans la région est en train de prendre une autre envergure avec la volonté d’expansion de cette vision. La sécurité de beaucoup de pays africains est menacée. Mais ce qui est déplorable, c’est le laxisme et presque la désinvolture avec laquelle les dirigeants de l’Afrique de l’ouest sont en train d’observer leurs pays menacés par ces forces violentes et qui, au lieu d’anticiper ou de chercher des voies, permettant de préserver la région et ses États, font des choses qui ne font que rendre leurs pays fertiles pour le développement de ces genres de forces asymétriques.

 

Manque de stabilité, manque de développement, manque d’empathie vis-à-vis des souffrances des populations, manque de démocratie… tout cela ne fait qu’encourager la montée en puissance de toutes les forces radicalisées qui, par malheurs vont chercher des sources d’aide dans des actions qui renforcent et accentuent la division des populations soit sur le plan religieux, soit sur le plan ethnique. Là, c’est l’ensemble de l’ouest africain qui est menacé. Notre pays dans ce cadre, n’est pas à l’abri de ce genre de menaces. Parce que la Guinée est le verrou de la stabilité pour beaucoup de pays de la sous-région. À mon avis, nous ne prêtons pas attention à ces dangers qui font que notre sécurité nationale et la sécurité régionale est fortement en danger.

 

Mahamadou Issoufou, dans son discours d’au-revoir à ses pairs de la CEDEAO, a alerté en disant qu’on ne peut pas faire face au défi sécuritaire en dehors d’institutions fortes et un véritable ancrage démocratique dans les États de la sous-région. Êtes-vous d’avis avec lui ?

Je suis tout à fait d’accord. Parce que vous savez, ce n’est pas la force qui va combattre la force. C’est une force supérieure, comme disait Gandhi qui peut combattre la violence. Lorsque dans un pays, la cohésion nationale est secouée et ébranlée, il va de soi que ces forces asymétriques vont s’infiltrer à travers les failles qui divisent la société. Je veux tout simplement dire, lorsqu’il y a la paix et l’harmonie dans un pays, ce peuple devient fort et ce peuple peut faire face aux multiples menaces extérieures qui peuvent l’agresser. Mais si la cohésion est disloquée, il va de soi que n’importe qu’elle force asymétrique qui souhaiterait s’infiltrer, peut trouver les voies pour élargir le fossé qui existe entre les différentes fractions en belligérance.

 

C’est comme ça qu’ils ont opposé les Touaregs du nord au reste des populations du Mali. Ensuite, on a opposé les populations qui depuis plusieurs siècles vivaient ensemble. Entre les dogons d’un côté et les peuhls de l’autre. En d’autres termes on attise les rivalités, on attise les contradictions secondaires pour faire en sorte que la violence devienne l’élément le plus utilisé pour régler les conflits politiques ou des conflits de nature économique. Là, c’est la gouvernance qui peut anticiper cela, c’est la gouvernance qui peut faire en sorte que ces pays et ces peuples soient d’une manière ou d’une autre immunisés contre ces forces asymétriques qui sont une véritable menace pour l’ensemble de la région.

 

Dans ce contexte on voit de vieux problèmes frontaliers ressurgir entre les États, est-ce selon vous du pain béni pour ces forces asymétriques ?

À mon avis, la question des délimitations des frontières est un vieux problème qui peut trouver des solutions politiques et diplomatiques. Il suffit d’utiliser correctement les voies politiques et diplomatiques pour résoudre les contradictions ou de régler définitivement la délimitation des frontières. Ce n’est pas un problème que je considère comme étant un problème majeur. Le gros problème, c’est lorsque les frontières sont fermées non pas pour la question de la fièvre Ebola ou la pandémie Covid-19, mais pour des considérations que je considère comme étant des considérations politiciennes.

 

La fermeture prolongée des frontières entre notre pays et les pays limitrophes montrent qu’il y a une attitude post d’hostilité vis-à-vis de ces pays. Cela crée un fossé qui risque de ne pas se cicatriser dans le temps. Cela nous met dans une situation assez malheureuse notamment lorsqu’on prône le panafricanisme, lorsqu’on veut aller dans le sens de la coopération entre les peuples.

 

La question de la fermeture des frontières que les autorités guinéennes sont en train de mener, à mon avis c’est un élément d’hostilités ouverts que les autorités guinéennes sont en train de montrer aux autres pays limitrophes.

 

Selon vous est-ce que la Guinée est suffisamment préparée pour faire face à d’éventuelles menaces ?

Nous sommes le pays le plus en danger. Je pense, pour des raisons diplomatiques, la Guinée n’a pas été évoquée par les responsables des renseignements français qui dépeignent la situation régionale.  Beaucoup de signaux auraient dû montrer que la situation sécuritaire en Guinée est préoccupante pour alerter à la fois les citoyens et les dirigeants de notre pays que le péril est grand.

 

Nous avons une gouvernance qui a attisé les dissensions à l’interne. Nous avons des conflits de nature politicienne qui ont exacerbé les contradictions entre les communautés. Regardez ce qui s’est passé à Macenta. Donc, il y a des facteurs objectifs pour montrer le niveau d’alerte.

 

Fund for peace, une ONG américaine a d’ailleurs classé le degré de fragilité des États et la Guinée fait partie des États les plus fragiles du monde. Le pays est classé 15ème pays dans le monde dans une situation de fragilité.

 

Ce sont des indicateurs qui doivent nous amener à nous regarder en face, à savoir que la question est essentielle. Ce n’est pas la question du fauteuil présidentiel à Sekoutoureya, mais c’est la question de la stabilité et de la paix de la Guinée. C’est l’avenir et la vie de millions d’individus, de citoyens guinéens qui sont en danger. C’est pour cela que je profite de cette occasion pour dire, plus que jamais que la question de la concertation politique pour que les Guinéens arrivent à régler leurs conflits par les voies politiques et non pas par la violence est une nécessité absolue pour ne pas qu’en allumant la mèche, le baril de poudre explose pour nous embarquer dans une situation périlleuse où nous passerons des années et des années avant de nous tirer de ce bourbier.

C’est de la responsabilité des autorités au pouvoir et c’est de la responsabilité également des tous les acteurs politiques et sociaux pour se rendre compte que notre pays est en risque par rapport aux facteurs de déstabilisation qui sont internes parce que c’est cela d’abord. Et externe avec ce qui se passe au Sahel.  C’est une situation dangereuse et périlleuse pour la survie de notre pays en tant que nation unie.

A suivre …

 

Entretien réalisé par Diallo Boubacar 1

Pour Africaguinee.com

Tel : (00224) 655 311 112

 

BAH Oury

BAH Oury

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